François Charlet

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ACTA dans l'Union européenne : mais que faire en Suisse ?

05/04/2012 5 Min. lecture Droit François Charlet

Dans l’Union européenne

Le vote du Parlement européen sur ACTA sera peut-être repoussé. Hier, la Commission européenne a décidé de passer outre l’opposition de certains eurodéputés et de saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) afin de déterminer si ACTA est “euro-compatible”. En d’autres termes, la CJUE devra analyser le traité et décider si, oui ou non, le traité est compatible avec le droit communautaire et la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne.

Le commissaire au commerce Karel De Gucht a indiqué se réjouir

“[…] de faire un pas de plus afin de faire la lumière sur ACTA. […] La majorité des critiques contre ACTA exprimées par les peuples à travers l’Europe sont dirigés sur l’atteinte potentielle qu’il pourrait avoir sur les droits fondamentaux. Il apparait donc opportun d’en référer à la CJUE qui clarifiera la légalité de cet accord. […]

L’Union européenne est fondée sur le respect des règles de droit. Étant donné que des dizaines de milliers de personnes ont fait part de leurs craintes au sujet d’ACTA, il est approprié de donner le temps à notre plus haute juridiction indépendante de nous donner son avis sur cet accord. Ce sera un complément important pour le peuple européen et pour le débat démocratique. J’espère donc que le Parlement européen respectera la CJUE et attendra son avis avant de déterminer sa propre position sur ACTA.”

À mon avis, l’idée n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle est bonne dans le sens où il semble nécessaire d’obtenir l’avis de la CJUE sur la question, afin d’être au clair sur les implications possibles d’ACTA sur les droits fondamentaux des citoyens. Toutefois, comme certains l’ont dit, la contestation et le débat sont vifs maintenant ; prolonger l’attente sur le vote de cet accord risque de provoquer un désintéressement, une démobilisation et une opposition moins forte qu’en ce moment. Des voix politiques s’étaient opposées à la saisine de la CJUE, estimant que l’ACTA avait une dimension éminemment politique à laquelle aucun juge ne devait prendre part. Il y a plusieurs jours, la Commission du commerce international (INTA) du Parlement européen avait rejeté à 21 voix contre 5 de transmettre l’ACTA à la CJUE.

Que va-t-il se passer, alors ? Le Parlement européen n’a pas l’obligation d’attendre l’avis de la CJUE pour voter. Sauf grosse surprise, il devrait donc se prononcer sur la ratification de ce traité en juin 2012.

En Suisse

Pour l’instant, la seule chose dont on est sûr, c’est qu’on ne fait rien. On attend. Le passage de l’ACTA devant le Parlement fédéral pour ratification n’est pas à l’ordre du jour. Un parlementaire a d’ailleurs demandé au Conseil fédéral de répondre aux deux questions suivantes :

1. Pourquoi la Suisse a-t-elle participé aux négociations sur la lutte contre la contrefaçon et le piratage en dehors des institutions établies [NdR : OMC et OMPI] ?

2. Pourquoi ne s’est-elle pas employée au moins à faire en sorte que ces négociations se déroulent au sein de ces institutions ?

La réponse est pourtant relativement claire. En bref, la majorité des pays de la planète sont membres de l’OMC et tous n’ont pas la même envie que les États-Unis (entre autres) de mettre fin à la contrefaçon. La Chine et le Brésil, pour ne citer qu’eux, n’ont aucun intérêt à signer l’ACTA actuel. En imaginant que l’ACTA ait été négocié au sein de l’OMC, plusieurs pays auraient opposé leur veto, ce qui aurait probablement fait capoter le projet.

À la fin du mois mars, dans un communiqué, la Commission de politique extérieure du Conseil national a déclaré vouloir écrire au Conseil fédéral afin de l’inciter à ne pas signer l’ACTA (qui est prêt à être signé) avant l’avis de droit de la CJUE quant aux droits fondamentaux. La Commission affirme s’être tenue informée de l’avancement des débats. Elle a ainsi pu constater que

“[…] les intervenants – tous partis confondus – ont exprimé leur scepticisme à ce sujet : de nombreuses voix se sont élevées pour mettre en doute l’utilité de l’accord pour la Suisse ; l’opacité des négociations a fait l’objet de vives critiques, tout comme le fait que de nombreuses questions demeurent sans réponses. La commission se penchera à nouveau sur le sujet lorsqu’elle sera en possession d’informations plus précises.”

À l’inverse la Commission de politique extérieure du Conseil des États semble appuyer l’accord. Elle

“[…] prend acte du fait que cet accord, qui vise principalement à lutter contre les contrefaçons et le piratage, porte uniquement sur l’application du droit et qu’il n’exige aucune adaptation des dispositions suisses relatives au droit d’auteur. Elle souligne que la mise en œuvre de l’accord sera profitable tant au secteur de l’exportation qu’aux consommateurs. Enfin, elle relève qu’une seule des 45 dispositions de l’accord concerne l’environnement numérique et qu’elle ne restreindra en aucune façon l’utilisation d’Internet en Suisse.

Pour l’instant, on n’en sait pas plus. Que pouvons-nous faire en attendant ? J’ai participé à une table ronde sur ACTA, à la mi-mars, qui se déroulait au Hackerspace FIXME à Lausanne. Il m’est venu une idée qui mérite peut-être d’être creusée.

Si le Parlement fédéral décide de ratifier l’ACTA, le référendum facultatif devrait être ouvert contre cette décision. Le peuple aurait ainsi 100 jours pour récolter 50'000 signatures dans le but d’obliger la Confédération à demander l’aval du peuple. Afin de faire monter la pression sur nos parlementaires, il serait peut-être judicieux de mettre sur place une pétition nationale (en trois langues) afin de récolter au moins 50'000 signatures qui seraient déposées devant le Parlement fédéral ou à la Chancellerie fédérale (à l’instar de ce qui se fait pour les initiatives). De cette manière, les parlementaires seront conscients, au moment du vote, que la menace d’un référendum est bien réelle. De plus, cette pétition favorisera l’information et la sensibilisation de la population.

Encore faut-il concrétiser cette idée. L’appui de partis politiques sera certainement nécessaire. A ce niveau, les Verts refusent déjà de ratifier le traité.