François Charlet

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Comment définir le "cercle de personnes étroitement liées" en droit d'auteur ?

15/08/2012 3 Min. lecture Droit François Charlet

La loi suisse sur le droit d’auteur (LDA) contient une série d’exceptions aux droits consacrés aux auteurs sur leur œuvre. Notamment, l’article 19 stipule :

L’usage privé d’une œuvre divulguée est autorisé. Par usage privé, on entend :

a. toute utilisation à des fins personnelles ou dans un cercle de personnes étroitement liées, tels des parents ou des amis ; […]

Des chiffres récents (et confidentiels) obtenus par TorrentFreak indiquent que deux tiers de la musique acquise aux Etats-Unis en 2011 n’étaient pas rémunérés. Sur le total de toute la musique acquise (rémunérée ou non), 46% l’a été au moyen d’échanges physiques entre personne : copie directe depuis un CD, prêt d’un disque dur externe contenant des fichiers musicaux numériques, transferts entre deux disques durs via une clé USB, etc. Plus surprenant, seuls 19% de la musique acquise l’ont été via le peer-to-peer et le téléchargement direct. Aux Etats-Unis, près de la moitié de la musique s’acquiert donc via des échanges physiques entre personnes. En transposant tels quels ces chiffres en Suisse, on pourrait se demander si ces acquisitions ne se font qu’entre “personnes étroitement liées”.

Si la notion d’usage privé peut sembler facile à discerner dans la LDA, elle n’est pas si évidente. La loi contient volontairement une définition large afin de garantir l’application de cette exception. En effet, en réduire le champ nuirait à son but.

La loi définit notamment l’usage privé en tant qu’utilisation de l’œuvre à des fins personnelles. Une œuvre divulguée (ou un exemplaire de cette oeuvre) peut donc être librement utilisée par le licencié (ou l’acquéreur de l’exemplaire de l’œuvre) pour son propre usage, tant que cela ne constitue pas un usage commercial. L’usage privé est également permis dans le cadre scolaire ou professionnel, mais dans une mesure plus limitée, à l’inverse de l’usage privé en tant qu’utilisation strictement personnelle. Ainsi, chacun peut (pour soi) chanter, jouer, réciter, copier, enregistrer, adapter, traduire, retransmettre (d’un étage à l’autre de sa maison ou dans son jardin) les œuvres d’autrui (BARRELET & EGLOFF, Das neue Urheberrecht, Kommentar zum Bundesgesetz über das Urheberrecht und verwandte Schutzrechte, 3e édition, Stämpfli, Berne, 2008).

L’usage privé permet aussi d’utiliser l’œuvre (ou un exemplaire de celle-ci) dans un cercle de personnes étroitement liées. La loi donne un exemple non-exhaustif en mentionnant les parents et les amis. La notion de “parents” n’appelle pas d’explications particulières : elle fait évidemment référence aux membres de la famille proche du licencié (ou de l’acquéreur d’un exemplaire de l’œuvre). De même, le terme “amis” ne mérite pas qu’on s’y attarde. À l’inverse, l’expression générale “cercle de personnes étroitement liées” nécessite peut-être quelques éclaircissements.

L’adverbe “étroitement” constitue le mot pilier de l’expression. En effet, il définit le lien qui doit exister entre deux personnes : il doit être étroit, ce qui influence également le nombre de personnes concernées. Ce dernier doit donc être restreint, ce qui implique que les personnes “étroitement liées” doivent bien se connaitre et ne pas s’être réunies au hasard (Obergericht Thurgau vom 26. November 1998, in sic! 1999 p. 404). Ainsi, le lien entre un patron et un employé ne suffit pas pour constituer un usage privé, de même que les liens entre les membres d’une association, d’un parti politique, d’une même religion ou confession (BARRELET & EGLOFF).

On peut conclure en affirmant que seules des personnes se connaissant bien et entretenant des relations personnelles peuvent bénéficier de l’exception légale de l’usage privé en tant qu’utilisation à des fins personnelles ou dans un cercle de personnes étroitement liées. Les actions mentionnées trois paragraphes plus haut ne peuvent donc se faire que dans le cercle de vos amis proches et dans un cadre familial si l’on ne demande pas l’accord de l’auteur.

Que celui (ou celle) qui n’a jamais enfreint cette règle lève la main !