François Charlet

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Spotify attaqué par un label pour les playlists d'utilisateurs

09/09/2013 3 Min. lecture Droit François Charlet

Ministry of Sound, une société britannique propriétaire de plusieurs labels et qui réalise des compilations de musique dance, attaque Spotify en justice pour violation de droit d’auteur.

La violation ne vient pas du fait que de la musique non autorisée se trouve dans le catalogue de Spotify (son fonds de commerce réside précisément dans l’offre légale de musique en streaming). À vrai dire, Spotify n’y est pour rien (ou presque, cf. infra). Ministry of Sound le poursuit, car certains de ses utilisateurs ont mis ensemble et publié des playlists (des listes de lecture constituées de morceaux de musique) qui imitent quelques compilations distribuées par le label. En d’autres termes, des utilisateurs ont constitué des playlists qui sont identiques dans les morceaux choisis et leur ordre à des compilations du label.

Selon Lohan Presencer, président de Ministry of Sound :

What we do is a lot more than putting playlists together : a lot of research goes into creating our compilation albums, and the intellectual property involved in that. It’s not appropriate for someone to just cut and paste them. (Source)

Le premier problème de Ministry of Sound est qu’il ne détient en général pas les droits sur les morceaux qu’il compile et qui appartiennent à d’autres labels. Il ne peut donc pas diffuser en ligne ces compilations s’il n’obtient pas les droits adéquats ; c’est précisément ce qui lui manque.

Cependant, ce que Lohan Presencer oublie, c’est que toute compilation n’est pas nécessairement protégée par le droit d’auteur. En effet, selon la Convention de Berne, article 2, paragraphe 5 :

Les recueils d’œuvres littéraires ou artistiques tels que les encyclopédies et anthologies qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles sont protégés comme telles, sans préjudice des droits des auteurs sur chacune des œuvres qui font partie de ces recueils.

Un recueil d’œuvres, ou une compilation de morceaux de musique dans ce cas, n’est protégé que s’il constitue une création intellectuelle. Celle-ci implique qu’une démarche créatrice soit entreprise, de même qu’une démarche intellectuelle. Ainsi, révéler une œuvre préexistante n’est pas une démarche créatrice. Et il faut distinguer la démarche intellectuelle de la maitrise d’un savoir-faire. Ce sera évidemment au juge de décider si ces compilations sont des créations intellectuelles.

Il reste encore à se demander pourquoi Ministry of Sound attaque Spotify au lieu des utilisateurs. Le label avait demandé à Spotify de retirer ces playlists, ce que le service a refusé de faire. La responsabilité secondaire de Spotify pourrait être engagée si on reconnaissait que les compilations sont protégées et que Spotify aurait dû les retirer lorsqu’on lui a signifié leur existence.

En Suisse, l’article 4 de la loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins consacre la protection des recueils :

1 Les recueils sont protégés pour eux-mêmes, s’ils constituent des créations de l’esprit qui ont un caractère individuel en raison du choix ou de la disposition de leur contenu. 2 La protection des œuvres réunies dans les recueils est réservée.

Selon la Feuille fédérale (FF 1989 III 465) :

La notion de recueil au sens de la présente disposition n’implique pas que les parties constitutives soient des œuvres.