François Charlet

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Modernisation du droit d'auteur en Suisse : RDV en 2015

10/06/2014 4 Min. lecture Droit François Charlet

Vendredi passé, la Confédération a annoncé que le Conseil fédéral envisageait de “moderniser le droit d’auteur” en Suisse. Un projet de modification légale sera élaboré et présenté avant la fin de l’année prochaine. Au menu : transposition des recommandations du groupe de travail AGUR12 et responsabilité civile des fournisseurs de service sur Internet.

Téléchargement

Que les internautes suisses se rassurent, il n’est pas question de changer quoi que ce soit à la situation actuelle en matière de “téléchargement illégal”.

La révision du droit d’auteur vise à améliorer la situation des artistes sans affaiblir la position des consommateurs. Ainsi, en particulier le téléchargement (download) d’œuvres protégées à des fins privées doit rester légal. Leur partage - ou téléversement (upload) - continuera en revanche d’être illégal. Dans le cadre de la révision, une attention toute particulière sera portée à la protection des données et à la garantie des voies de droit (accès au juge).

La Suisse prend donc une direction opposée à ce qui se fait de plus en plus dans l’Union européenne, où l’on poursuit les internautes, parfois de manière féroce comme en Allemagne. En effet, différentes études ont démontré que le téléchargement n’a pas nécessairement un effet négatif pour les artistes ou la culture en général.

On semble avoir compris que la criminalisation des consommateurs n’est pas la voie à suivre pour favoriser la diffusion de la culture et donner envie aux consommateurs de la soutenir.

Mise à disposition d’œuvres protégées

Pas de changement concernant les internautes qui partagent des œuvres protégées sur Internet au moyen des réseaux P2P (BitTorrent, notamment). Cet acte sera toujours punissable civilement et pénalement, comme le prévoit la loi actuelle. En effet, si le téléchargement (copie) des œuvres est autorisé, c’est parce qu’il existe une exception légale aux droits exclusifs des auteurs. À l’inverse, la mise à disposition de l’œuvre reste un droit exclusif de l’auteur.

Information aux partageurs

Afin de les inciter à “modifier leur comportement” et avant de lancer des poursuites pénales, une information sera donnée aux internautes qui partagent par P2P des œuvres protégées et qui commettent une infraction grave au droit d’auteur. Cela ressort d’une recommandation de l’AGUR12 et le Conseil fédéral entend y donner suite.

Seulement, comment définir ce qu’est une “violation grave” du droit d’auteur. C’est à mon sens le principal problème. On ne peut pas vraiment quantifier la violation (à partir de combien d’œuvres partagées ou de combien de giga-octets de données tombe-t-on dans la violation grave). Doit-on laisser à l’ayant droit le soin de décider ? Le FAI collabore-t-il à cette détermination pour établir un ratio “données partagées/données reçues” qu’on comparerait avec des tabelles ?

Responsabilité des intermédiaires

Enfin ! 17 ans après les États-Unis et 15 ans après l’Union européenne, la Suisse se décide à adopter une base légale qui permettra d’exonérer les fournisseurs de service, en particulier les hébergeurs, lorsqu’ils prennent les mesures adéquates pour retirer des contenus illégaux qui leur ont été signalés et empêcher leur réapparition.

Selon les recommandations de l’AGUR12, les fournisseurs Internet devraient prendre des mesures afin de supprimer de leurs plateformes les contenus enfreignant le droit d’auteur et d’empêcher leur réintroduction. Dans des cas de violations graves, ils devraient en outre bloquer l’accès à des contenus manifestement illicites ou à des sources manifestement illégales sur ordre des autorités. En contrepartie de ces nouveaux devoirs dans la lutte contre le piratage sur Internet, l’AGUR12 prône une exonération de leur responsabilité.

Actuellement, il serait possible pour les ayants droit d’attaquer civilement les fournisseurs de service comme les hébergeurs. C’est précisément parce que les fournisseurs de service sont indispensables au fonctionnement d’Internet et qu’ils sont en général “passifs”. Tant qu’ils le restent, ils ne devraient pas encourir de responsabilité, et j’espère que le Conseil fédéral ira dans ce sens.

Commentaire

Le communiqué de presse ne mentionne pas expressément si le Conseil fédéral entend adopter des dispositions qui favoriseront le développement des offres légales. Toutefois, comme cet élément faisait partie des recommandations du rapport de l’AGUR12 et que le Conseil fédéral va “s’appuyer” sur ces dernières, on peut espérer un changement de ce côté.

Le gouvernement n’a pas l’intention d’introduire une licence globale. Ce n’est pas étonnant, car comme la Suisse a plutôt un comportement de suiveuse plutôt que de pionnière en matière de politique et de droit relatifs aux technologies. Il faudra attendre un mouvement européen pour qu’on puisse envisager un changement en Suisse.

Bref, rien d’hyper croustillant dans le communiqué de presse, mais rendez-vous est pris pour l’année prochaine !