François Charlet

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Droit d'auteur : les ayants droit veulent du respect. Si si !

27/07/2015 7 Min. lecture Opinions François Charlet

Ces derniers jours, il y a eu quelques actualités marquantes en matière de droit d’auteur, en lien avec Internet et les médias en général. Elles méritent de s’y arrêter quelques minutes, et de réfléchir, car cela va vraiment trop loin, notamment dans la bêtise. Les ayants droit ne comprennent décidément rien. Les autorités non plus, qu’elles relèvent du pouvoir exécutif, législatif ou judiciaire.

Grande-Bretagne et copie privée

Commençons avec nos amis britanniques, si proches de la Suisse quand il s’agit des relations envers l’Union européenne, mais si peu “européens” quand il s’agit de droit d’auteur.

Il y a quelques jours, la High Court a confirmé un précédent jugement dans lequel elle déclarait qu’il était illégal de “ripper” (autrement dit : faire une copie digitale) un CD ou un DVD pour un usage personnel.

En d’autres termes, il est actuellement, sur décision de justice, interdit d’acheter (légalement) un CD ou DVD et d’en faire une copie digitale pour écouter la musique du CD ou regarder le contenu du DVD sur votre ordinateur, smartphone, ordinateur ou tablette.

Certes, l’exception de copie privée (art. 19 LDA en Suisse ; art. 5 de la Directive 2001/29/CE dans l’UE) n’existait pas officiellement au Royaume-Uni avant… fin 2014. Quand une modification de la loi a été votée, les ayants droit britanniques ont porté l’affaire devant la justice, déclarant notamment que faire des copies digitales des CD et DVD allait porter préjudice à l’industrie et diminuer les ventes.

Argument qui a convaincu la justice. L’Electronic Frontier Foundation (EFF) a donné un exemple de ce que cela signifierait concrètement : si on autorisait la copie privée, un consommateur n’achèterait pas un CD de musique supplémentaire pour l’écouter dans sa voiture, mais le copierait, ce qui implique une baisse des ventes.

C’est consternant de bêtise (je reste poli), mais, finalement, cela n’a pas d’importance. Pourquoi ? Parce que plus personne n’achète de CD aujourd’hui, et tous ceux qui l’ont fait ou le font encore réalisent des copies digitales de ces CD, que cela soit légal ou non, parce que c’est normal et qu’il n’y a pas une autre façon raisonnable de voir la réalité d’aujourd’hui.

Droit d’auteur - double facepalm

Grande-Bretagne et prévention

Là aussi, il y a de quoi s’arracher les cheveux. Cet été, la Grande-Bretagne a lancé, en collaboration avec Creative Content UK (CCUK), une campagne visant à “éduquer” au droit d’auteur les jeunes de 16 à 24 ans, leurs parents, les personnes responsables d’Internet à leur domicile, etc. Le but ? Diminuer les infractions au droit d’auteur, évidemment. La campagne contient un autre volet orienté répression.

On engage à coups de millions de pounds des agences de publicité et de relation publique, aux frais du contribuable. Mais le gouvernement de Sa Majesté justifie ces investissements par les augmentations espérées des ventes qui vont, du coup, générer des revenus imposables supplémentaires.

Quand on sait que même la peine de mort (infligée dans des circonstances atroces et sous forme de torture) n’a pas découragé la contrefaçon il y a plusieurs siècles, on peut légitimement se demander en quoi une campagne de prévention – assortie de répression – va changer quelque chose…

Ce que les ayants droit ne comprennent pas, c’est qu’il est de LEUR responsabilité de changer LEUR modèle d’affaire préhistorique (je l’écrivais en 2009, déjà). C’est à eux de s’adapter aux nouveaux modes de consommation, et de les encourager. Les interdire ne va pas freiner les nouveaux usages de la société, mais cela va aliéner les consommateurs et discréditer les ayants droit, et les artistes.

Blocage de sites pirates : inefficace

En 2013, j’avais mentionné ici une étude néerlandaise sur l’inefficacité du blocage des sites pirates comme mesure pour contrer les atteintes au droit d’auteur.

Rebelote, mais en Italie cette fois. Une récente étude menée sur une année a analysé le trafic d’une vingtaine de sites de streaming, liens torrent et téléchargement direct. Selon les chercheurs de l’Université de Padoue (région de Venise), bloquer un site a pour effet d’en augmenter sa popularité.

Le retour de manivelle sous forme d’effet Streisand devrait pousser les ayants droit à se remettre en question. Ils ont de la peine, semble-t-il… Errare humanum est, sed perseverare diabolicum est, comme on dit.

Droit d’auteur et déréférencement

Les ayants droit s’adressent tous les jours aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et aux moteurs de recherche – entre autres – pour faire déréférencer des liens qui mènent à des copies illégales de film.

Récemment, en France, Gaumont et Universal Pictures ont mandaté Trident Media Guard (TMG ; une sorte d’équivalent français de Logistep) qui a exigé de Google le déréférencement de plusieurs liens vers quelques films à gros budget, dont Jurassic World (par ailleurs décevant).

Il arrive cependant assez souvent que ces demandes aillent beaucoup trop loin et exigent de déréférencer des contenus qui n’appartiennent pas aux ayants droit, qui bénéficient de l’exception de parodie ou pire, qui sont tombés dans le domaine public. Un site, Chilling Effects, recense de très nombreuses demandes adressées aux intermédiaires techniques d’Internet. Inutile de préciser que ce site agace prodigieusement les ayants droit, mais c’est un rempart important afin de préserver la liberté d’expression et d’information.

Dans une requête du 10 juillet (Copyright claim #2), TMG a tenté de faire supprimer un article qui parle de l’affaire Hacking Team alors que le but de la requête était de faire déréférencer les liens pointant vers le film “Hackers”.

Plus bas, on trouve aussi un lien qui concerne “Le petit livre du hacker”, lequel est bien évidemment un film du catalogue de Gaumont ou de Universal Pictures.

Dans la même requête, TMG veut faire retirer un lien concernant “Fast & Furious 7” (on en a vraiment fait sept ?) qui pointe vers… IMDB, autrement la base de données mondiale sur les films et autres séries qui est tout ce qu’il y a de plus légal.

Ici, TMG a voulu déréférencer un lien d’Amazon.

Là où c’est carrément hilarant (et où on a la preuve que ce système est téléphoné, inefficace et dangereux en raison de son automatisme), c’est que TMG a tenté de faire retirer un lien censé pointer vers Jurassic World. Le problème est que ce lien n’est rien d’autre que 127.0.0.1, autrement dit (l’adresse IP de) la machine locale de l’utilisateur. En clair : TMG a tenté de déréférencer un lien qui dirige vers un contenu illégal stocké… sur un ordinateur de TMG !

Ça, voyez-vous, c’est très comique. Et il y en a plein d’autres, notamment de NBCUniversal ! La prochaine fois, n’installez pas de logiciels pour récupérer les torrents sur les machines utilisées pour signaler les liens…

Commentaire (exaspéré)

Les ayants droit ne comprennent donc rien. Ils veulent que les consommateurs respectent le droit d’auteur. Pour ce faire, ils font des campagnes de sensibilisation. Dans le même temps, ils poursuivent ces mêmes consommateurs en justice, tant au civil qu’au pénal.

Le respect, ça se gagne. Pour y arriver, il faut donner une réponse adéquate aux problèmes et changements induits par les nouveaux modes et usages de consommation.

Si les consommateurs veulent ripper leurs CD et DVD, il faut que cette pratique soit encouragée et non pas déclarée illégale.

Si les consommateurs font un usage non commercial d’une œuvre (parodie, citation, partage entre amis proches, pédagogie, illustration pour un blog comme le mien, etc.), les ayants droit doivent aussi soutenir cet usage qui engendre souvent d’autres œuvres et pousse à la création (le droit d’auteur étant censé protéger et favoriser la création et ne pas lui mettre des bâtons dans les roues).

Les ayants droit ne devraient pas tenter de faire adopter des lois qui portent atteinte à la liberté d’expression sous prétexte que leurs intérêts économiques sont en jeu.

Ce n’est qu’une partie de ce que les ayants droit font. Et ils se permettent de nous donner des leçons et de faire des campagnes (que nous finançons en partie) pour nous expliquer que “le droit d’auteur c’est bien” ?

Je ne sais pas pour qui ils se prennent. Mais ils n’ont vraiment rien compris.

_(Source de l’image “Double Facepalm” : inconnue. Image originale : Star Trek, saison 3.)