François Charlet

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Bernard Rappaz doit être alimenté de force

13/11/2010 3 Min. lecture Droit François Charlet

Comme moi, comme n’importe quel romand, tu as dû suivre l’affaire Bernard Rappaz. Dernièrement, je suis tombé sur deux articles parus dans le quotidien Le Temps, les lundi 8 et mardi 9 novembre 2010. Le premier a été rédigé par André Kuhn, professeur à l’institut de criminologie et de droit pénal de l’Université de Lausanne, et le second par Etienne Grisel, professeur honoraire dans cette même université. Tous les deux défendent le jugement du Tribunal fédéral obligeant les médecins à procéder à l’alimentation forcée de Bernard Rappaz, condamné à plus de cinq ans de prison pour violation grave de la loi fédérale sur les stupéfiants. Je propose de t’en faire un résumé synthétique et succinct (pléonasme), puisque je suis également de leur avis. Je vais tenter de respecter l’esprit de leurs dires, mais la lettre sera la mienne.

André Kuhn affirme qu’on ne peut pas laisser mourir une personne détenue. D’ailleurs, Rappaz ne veut pas mourir puisqu’il mange à nouveau dès qu’il est libre. De ce point de vue, on doit le maintenir en vie. Les médecins sont donc malhonnêtes de se retrancher derrière leur “éthique” alors qu’on voit pertinemment que Rappaz ne désire que vivre. (Ndr : il n’aurait pas fait tous ces recours, ni déposé une demande de grâce si ce n’était pas ce qu’il souhaitait.)

On a donc deux solutions : on nourrit Bernard Rappaz, ou on le libère. (Ndr : j’avoue que libérer une personne qui a gravement violé la loi sur les stupéfiants simplement parce qu’elle a refusé de s’alimenter me choquerait beaucoup plus que de savoir qu’on la nourrit de force ou qu’elle a succombé.)

Etienne Grisel soutient que les règles d’éthique sont notamment issues d’associations – en Suisse, l’Académie suisse des Sciences médicales – et donc dépourvues d’autorité officielle. Les lois émanent d’autorités élues démocratiquement. Donc en cas de conflits entre lois et règles d’éthique, ce sont les premières qui l’emportent. Les autorités prennent en compte les règles déontologiques (ndr : par exemple, on parle de “règles de l’art” dans certaines dispositions légales) mais quand l’Etat édicte une solution, on ne peut pas refuser de l’appliquer en invoquant une déontologie.

L’être humain a droit au respect de son intégrité physique et, par là, il a le droit de choisir qui le soigne, et comment. C’est un droit fondamental, mais un droit fondamental peut être restreint à certaines conditions. On peut par exemple les limiter quand un autre intérêt est prépondérant. Ici, on est face à un détenu, et ce statut implique que l’Etat veille à sa santé. Ce dernier doit ainsi tout mettre en œuvre pour éviter que les prisonniers mettent fin à leurs jours. Comme on ne peut pas libérer Bernard Rappaz, ni le laisser mourir, il ne resterait qu’une solution : l’alimentation forcée. La liberté de Rappaz (qui est d’ailleurs fortement limitée) doit donc être ponctionnée, et cette solution semble être la plus proportionnée et légitime. Reste la question de savoir comment… Le Tribunal fédéral a exigé que cette intervention se fasse dans la dignité et conformément aux règles de l’art médical (ndr : voir par exemple le considérant 6 de l’arrêt du Tribunal fédéral). Toutefois, il semble fort probable qu’il faille employer la force, à tout le moins la contrainte pour atteindre le but voulu.

Et de conclure : quand l’Etat a dans ses mains le sort d’une personne, il doit impérativement préserver son existence. Sinon le droit à la vie, inscrit dans notre Constitution, n’a plus aucun sens.

Sources : Le Temps du 8 novembre 2010, p. 13, et Le Temps du 9 novembre 2010, p. 14.