Défendre Wikileaks ? Oui, mais…
Récemment, nombre de sociétés privées (notamment Amazon, Paypal, MasterCard et Visa) ont décidé de ne plus fournir leurs prestations à Wikileaks pour des raisons diverses et (a)variées : mise en danger des infrastructures techniques, violation des conditions d’utilisation… et pression politique, évidemment. En guise de représailles, des hackers du monde entier qui défendent Wikileaks (et la liberté d’expression) attaquent successivement les sites web de ces sociétés, les rendant indisponibles au public.
De manière à semer encore plus la pagaille dans une situation déjà fort compliquée, le Département américain de la Justice a annoncé envisager d’incriminer Julian Assange, le fondateur de Wikileaks – actuellement accusé et détenu en Angleterre au motif qu’il aurait commis des infractions d’ordre sexuel sur deux suédoises en août dernier –, en se basant sur une loi de 1917 sur l’espionnage, de façon à pouvoir demander à la Suède une extradition de Julian Assange afin de le condamner pour comportement anti-américain, au moins. Certains auraient même émis l’hypothèse d’assassiner Julian Assange.
Bref, la confusion règne.
D’un côté, l’affaire Wikileaks montre à quel point notre droit n’est pas adapté à l’Internet : celui-ci va trop vite, pour nous et pour le législateur. En Suisse, les réactions n’ont été que très peu nourries, alors qu’en France, les pouvoirs politiques ont envisagé d’interdire l’hébergement de Wikileaks sur le territoire français. Après s’être rendu compte qu’il faudrait d’abord passer par un juge, on a constaté qu’il n’y avait pas de moyen juridique pour supprimer des informations publiées sur Internet. Donc, à moins de bafouer la Constitution française et la liberté d’expression, ainsi que de compromettre les chances de réélection, le pouvoir politique ne peut rien faire. En France, comme en Suisse.
D’un autre, les actions de représailles évoquées plus haut ne servent pas la cause de Wikileaks. En effet, pour l’instant, l’activité de Wikileaks n’a encore été jugée illégale nulle part. Mais ces attaques répétées contre les sites des sociétés qui décident de ne plus fournir leurs services à Wikileaks sont illégales. En plus de faire perdre du temps, de l’argent et d’entraver l’activité commerciale de ces sociétés, ces attaques prennent aussi en otage les internautes et les clients. Comment leur faire comprendre que rendre indisponible une ressource sur Internet (p. ex. un site web qui, par essence, véhicule de l’information) sert la cause de la liberté d’expression ?
Se pose aussi la question, pour les connaisseurs, de la possibilité de faire ou non un miroir du site Wikileaks et des câbles diplomatiques. Wikileaks étant aussi la cible de nombreuses attaques informatiques incessantes, la disponibilité de son contenu est donc en danger. Wikileaks a donc demandé à toute personne disposant d’un hébergement ou d’un serveur de faire un site miroir. A l’heure où j’écris ces lignes, près de 1400 sites miroir sont disponibles, assurant ainsi une disponibilité des données (en théorie) à toute épreuve.
Mais est-ce légal ? Dur à dire. Ce qui est certain pour l’instant, c’est qu’une condamnation de Julian Assange ou, pire, des médias qui publient et relaient les informations, serait une grave et dangereuse entaille que subirait la liberté d’expression. Aux Etats-Unis, le CRS (Congressional Research Service) a admis que la poursuite d’une personne qui n’est pas soumises aux obligations de confidentialité d’un employé d’état, qui a divulgué des informations confidentielles reçues innocemment serait absolument sans précédent et poserait de sérieux problèmes avec le Premier Amendement (la liberté d’expression, dans la Constitution américaine).
En Suisse, on pourrait envisager d’appliquer l’art. 293 CP, qui condamne d’une amende la personne qui, sans en avoir le droit, aura livré à la publicité tout ou partie des actes, d’une instruction ou des débats d’une autorité qui sont secrets en vertu de la loi ou d’une décision prise par l’autorité dans les limites de sa compétence. Encore faut-il qu’il y ait une loi ou une décision de ladite autorité. La Suisse n’étant, pour l’instant, que peu impliquée dans cette affaire, les autorités semblent laisser aller, attendant de voir.
Car, face à la liberté d’expression et aux droits démocratiques, il n’y a peut-être rien d’autre à faire…
Article inspiré de Information is the Antidote to Fear : Wikileaks, the Law, and You.