Ecouter et enregistrer des conversations entre personnes est illégal
Sixième épisode de la série consacrée au droit pénal informatique suisse.
Ecoute et enregistrement de conversations entre d’autres personnes
Ici, nous nous trouvons dans le domaine des infractions contre le domaine secret ou privé. On protège la vie privée et surtout la confidentialité des conversations privées.
Art. 179bis du Code pénal suisse (CP)
Celui qui, sans le consentement de tous les participants, aura écouté à l’aide d’un appareil d’écoute ou enregistré sur un porteur de son une conversation non publique entre d’autres personnes,
celui qui aura tiré profit ou donné connaissance à un tiers d’un fait qu’il savait ou devait présumer être parvenu à sa propre connaissance au moyen d’une infraction visée à l’al. 1,
celui qui aura conservé ou rendu accessible à un tiers un enregistrement qu’il savait ou devait présumer avoir été réalisé au moyen d’une infraction visée à l’al. 1,
sera, sur plainte, puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
Pour cet article, je me limiterai à l’analyse de l’alinéa 1.
Ecoute
Tout d’abord, il faut une écoute ou un enregistrement d’une conversation. L’écoute doit se faire au moyen d’un outil technique mais la présence d’une personne tierce sur place est aussi possible.
Conversation
Une conversation est un échange oral de propos entre deux personnes au moins. Un discours ou un monologue ne rentre donc pas dans cette définition. La conversation doit être privée ou secrète : on ne protège pas forcément le contenu mais le caractère privé de la conversation (ATF 108 IV 161). On cherche à préserver l’intimité. L’écrit (SMS, e-mail, etc.) ne peut pas être protégé par cette disposition. Dans ce cas, on appliquera probablement l’art. 179 CP. Celui qui “écoute” une discussion en interceptant un flux de données informatiques sera punissable en concours avec les art. 143 CP et art. 143bis CP.
Non publique et entre d’autres personnes
La conversation doit être non publique et entre d’autres personnes : on se basera sur le critère de perception par tout un chacun, car ce qui est audible par tous est exclu du caractère privé. Il faut néanmoins déterminer si la conversation comme telle revêt ou non un caractère privé. On examinera l’ensemble des circonstances, en particulier le cercle des personnes de la conversation. Même une conversation audible par de nombreuses personnes ne perd pas forcément son caractère privé si ce nombre de personne est déterminé et sélectionné (ATF 118 IV 71). Une conversation qui ne porte pas sur un élément sensible ou privé, mais qui a lieu entre un petit nombre de personnes, revêtira un caractère non public de par le petit nombre de personnes (ATF 130 IV 111). Le lieu sera aussi pris en considération (ATF 133 IV 249). Une discussion à voix normale dans un lieu public n’est pas publique. La surveillance doit s’exercer par une personne extérieure au cercle (si elle est interne, on appliquera l’art. 179ter CP).
Appareil d’écoute ou porteur de son
L’écoute doit se faire avec un appareil d’écoute, l’enregistrement sur un appareil porteur de son (fixer et reproduire les sons). Si on écoute sans matériel spécial, ce n’est pas répréhensible pénalement mais civilement. L’appareil doit permettre ou faciliter l’écoute (augmenter les possibilités normales de l’oreille humaine) ou permettre l’amplification ou la transmission à distance. Cela concerne donc la vaste majorité des appareils informatiques, comme un micro-espion ou un téléphone portable.
L’appareil d’écoute implique la réunion de deux éléments : l’auteur doit l’enclencher dans le but d’écouter la conversation non publique à caractère privé, et il faut qu’il écoute effectivement cette conversation au moyen de l’appareil (ATF 133 IV 249). La notion d’appareil porteur de son désigne l’appareil permettant de fixer des sons et de les reproduire (on vise donc également l’ensemble de l’appareillage informatique). On réprime l’enregistrement en direct, pas la simple copie ou conversion d’un enregistrement déjà fait (art. 179quinquies CP).
Absence de consentement des participants
Les participants à la conversation ne doivent pas consentir à l’écoute. Si tous les participants consentent, l’infraction n’est pas réalisée. Si un seul ne consent pas, l’infraction sera réalisée mais les autres ne pourront pas déposer plainte. Si on ne manifeste pas le désaccord, on ne peut pas admettre que le consentement existe, mais il y aura l’erreur sur les faits qui fera que l’auteur ne sera pas punissable, selon les cas.
Enfin, concernant les éléments subjectifs de l’infraction, l’infraction est doit être commise de manière intentionnelle (le dol éventuel suffit).