La surveillance des télécommunications par une autorité pénale en droit suisse
Le but du présent article n’est pas de faire un cours de droit approfondi mais de dresser un paysage général de la façon de procéder des autorités suisses dans le cas où elles seraient amenées à surveiller les télécommunications d’une personne.
Le code de procédure pénale fédérale (CPP) est entré en vigueur le 1.1.2011, remplaçant notamment vingt-six codes cantonaux de procédure pénale. Les art. 269 et suivants CPP traitent des mesures secrètes de surveillance. D’emblée, on se rend compte que les écoutes téléphoniques sont celles auxquelles on pense instinctivement. Néanmoins, le CPP en prévoit une liste plus vaste : surveillance de la correspondance par poste et télécommunication, récolte des données secondaires (relatives au trafic, à la facturation et à l’identification des utilisateurs), surveillance des relations bancaires, observation et emploi d’autres dispositifs techniques de surveillance (comme les caméras et micros).
L’art. 269 al. 1 CPP mentionne trois conditions pour que le ministère public (l’autorité de poursuite pénale, art. 16 CPP) puisse ordonner une surveillance par poste et télécommunications :
- Il doit y avoir de graves soupçons de commission (la tentative suffit, ainsi que l’acte préparatoire, cf. art. 260 bis CP) d’une infraction de l’al. 2. La notion de “graves soupçons” signifie qu’il faut des éléments objectifs, concrets, fondés et vérifiables (une simple supposition ne suffit pas) ;
- On veut un rapport de proportionnalité entre la gravité de l’infraction et la mesure qui comporte une atteinte grave à la personnalité. La mesure doit être nécessaire, ce doit être l’ultima ratio (c’est-à-dire qu’on a “tout” essayé et qu’il ne reste “plus que cette solution”) ;
- On doit être en cours d’instruction, donc une procédure pénale est formellement ouverte. On ne met pas en place la surveillance pour prévenir un délit.
Le tribunal des mesures de contrainte (art. 18 CPP) doit encore autoriser cette surveillance (art. 272 CPP). La décision du Ministère public n’a donc qu’un effet provisoire, même si elle est immédiatement exécutoire. L’exploitation des résultats de la surveillance ne sera pourtant pas possible si le Tribunal des mesures de contrainte n’accorde pas l’autorisation demandée. Si la mesure n’est plus fondée, elle doit cesser avec effet immédiat, au vu de l’atteinte extrêmement grave à la personnalité (art. 275 CPP). Les données recueillies dans le cadre d’une surveillance non autorisée doivent être détruites immédiatement et ne peuvent pas être exploitées, dans le cadre d’un procès notamment (art. 277 CPP).
Sauf exception, l’individu surveillé est averti a posteriori qu’il a été surveillé, comment, quand et pourquoi (art. 279 CPP). Cela donne à l’individu la possibilité de faire contrôler par une autorité judiciaire le bien-fondé de la surveillance. (Un article de Me Sylvain Métille, docteur en droit et avocat, a été publié dans la revue Plaidoyer de février 2011 au sujet de l’importance de l’information de la personne qui a fait l’objet d’une surveillance. Selon Me Sylvain Métille, le fait que la surveillance n’ait pas été autorisée ou que les résultats obtenus ne puissent pas être utilisés [pour des raisons légales ou parce qu’ils n’apportent rien à l’enquête] ne justifie pas de renoncer à l’information. Cela pousse à respecter la procédure dans tous les cas ; cela permettrait aussi de limiter les écoutes illégales). En effet, le caractère secret de ces actes garantit leur succès mais comporte aussi des risques d’abus, puisque la personne surveillée n’a pas connaissance de la surveillance et ne peut donc pas faire valoir ses droits.
Une preuve récoltée illégalement par une autorité peut-elle quand même être exploitée ? L’autorité doit être loyale, de bonne foi dans sa collecte de données (art. 139 CPP). On exclut absolument l’admissibilité d’une preuve obtenue par les moyens énumérés à l’art. 140 CPP. Une preuve récoltée illégalement est inexploitable, sauf si elle est indispensable et qu’elle se rapporte à une infraction grave (art. 141 CPP). On ne peut pas utiliser cette preuve contre la personne protégée par la règle violée, on ne peut pas la lui opposer ; on ne peut l’utiliser que dans son intérêt.
Et qu’en est-il des preuves récoltées par des personnes privées ? Le CPP ne parle que des violations par l’autorité. Il n’y a pas de règles précises pour les privés, donc il faudra trancher la question de cas en cas. En cas d’apport de preuve illégale, il faut distinguer la violation par le particulier d’une disposition pénale (on pensera ici aux art. 179 et suivants CP). On ne doit pas admettre la preuve lorsque l’autorité n’aurait pas pu obtenir cette preuve elle-même, pour diverses raisons. On ne peut pas admettre qu’un particulier amène une preuve illégale si l’autorité n’avait pas pu y accéder. Au final, ce sera au juge de décider si de telles preuves peuvent être admises…