François Charlet

Actualités, opinions et analyses juridiques et technologiques internationales et suisses

Pornographie et technologies

15/08/2011 5 Min. lecture Droit François Charlet

Quatrième épisode de la série consacrée au droit pénal informatique suisse.

Pornographie

En droit suisse, seuls certains aspects de la pornographie sont réprimés.

Art. 197 du Code pénal suisse (CP)

1. Celui qui aura offert, montré, rendu accessibles à une personne de moins de 16 ans ou mis à sa disposition des écrits, enregistrements sonores ou visuels, images ou autres objets pornographiques ou des représentations pornographiques, ou les aura diffusés à la radio ou à la télévision, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

2. Celui qui aura exposé ou montré en public des objets ou des représentations visés au ch. 1 ou les aura offerts à une personne qui n’en voulait pas, sera puni de l’amende.

Celui qui, lors d’expositions ou de représentations dans des locaux fermés, aura d’avance attiré l’attention des spectateurs sur le caractère pornographique de celles-ci ne sera pas punissable.

3. Celui qui aura fabriqué, importé, pris en dépôt, mis en circulation, promu, exposé, offert, montré, rendu accessibles ou mis à la disposition des objets ou représentations visés au ch. 1, ayant comme contenu des actes d’ordre sexuel avec des enfants, des animaux, des excréments humains ou comprenant des actes de violence, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

Les objets seront confisqués.

3bis. Celui qui aura acquis, obtenu par voie électronique ou d’une autre manière ou possédé des objets ou des représentations visés au ch. 1 qui ont comme contenu des actes d’ordre sexuel avec des enfants ou des animaux ou comprenant des actes de violence, sera puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire.

Les objets seront confisqués.

4. Si l’auteur a agi dans un dessein de lucre, la peine sera une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire. En cas de peine privative de liberté, une peine pécuniaire est également prononcée.

5. Les objets ou représentations visés aux ch. 1 à 3 ne seront pas considérés comme pornographiques lorsqu’ils auront une valeur culturelle ou scientifique digne de protection.

Pornographie et mineurs de moins de 16 ans

Commençons par le chiffre 1. Tout d’abord, il faut être en présence d’objets ou de représentations (à dimension publique) à caractère pornographique. Cela signifie qu’une image, une vidéo, ou un élément de spectacle dont le contenu sort du cadre normal de la sexualité – on voit ici que la normalité est une notion variable – ou dont le caractère est cru, vulgaire, etc. sont considérés comme ayant un caractère pornographique, sauf s’ils ont une valeur culturelle ou scientifique, cf. chiffre 5.

En suite, il faut avoir offert, montré ou rendu accessible à une personne mineure de moins de 16 ans de tels objets ou représentations. On réprime ici une mise en danger abstraite du développement de l’enfant. L’infraction doit être intentionnelle et le dol éventuel suffit.

Personne qui n’en voulait pas

Le chiffre 2 reprend la même définition de l’objet ou de la représentation qu’au chiffre 1. La notion de “public” implique ici un cercle indéterminé de personne. Quant à celle de “personne qui n’en voulait pas”, elle signifie que la victime n’a pas demandé à voir de tels objets ou représentations. L’infraction est intentionnelle, et le dol éventuel suffit.

Pornographie dure

Le chiffre 3 reprend également la définition du chiffre 1 sur les objets ou représentations à caractère pornographique. Toutefois, on réprime ici la pornographie dure, qui consiste en des “objets ou représentations […] ayant comme contenu des actes d’ordre sexuel avec des enfants, des animaux, des excréments humains ou comprenant des actes de violence”, pour autant qu’ils n’aient aucune valeur scientifique ou culturelle (cf. chiffre 5). Les actes de violence doivent être sexuellement connotés, sinon on appliquera l’art. 135 CP.

Les comportements délictueux sont énumérés exhaustivement et consistent en la fabrication, importation, prise en dépôt, mise en circulation, promotion, exposition, offre, le fait de montrer, rendre accessibles ou mettre à la disposition de tels objets ou représentations. La fabrication peut consister à photographier des personnes s’adonnant aux actes ci-dessus, mais aussi au téléchargement de fichiers contenant des représentations de ces actes. (Techniquement, on ne fait qu’une copie du fichier, mais l’interdiction de la pornographie dure est absolue et la liberté d’expression ne peut en aucun cas autoriser de telles pratiques. Il est donc justifié d’étendre le champ d’application de la loi au téléchargement par le biais de la “fabrication”.) L’usage privé entre adulte est néanmoins autorisé. Il y a une lacune dans la loi : on n’y mentionne que les excréments humains et pas ceux d’animaux, ce qui amène à penser que des actes sexuels avec des excréments d’animaux ne sont pas punissables.

Le chiffre 3bis réprime l’acquisition, l’obtention par des moyens électroniques (chat, forum, etc.) ou d’une autre manière (échanges privés, etc.) ou la possession d’objets ou représentations contenant de la pornographie dure. La possession implique ici une maitrise effective sur les objets.

Le Tribunal fédéral considère que le téléchargement de tels contenus est assimilable à de la fabrication, donc on applique l’art. 197 ch. 3 CP. Pourtant, au ch. 3bis, on réprime l’obtention et la possession, non pas la fabrication. Visionner des images sur Internet est normalement assimilable à de la simple consommation, pas de la détention. Si on les télécharge, on appliquera l’art. 197 ch. 3 CP, alors que s’il s’agit de maîtrise effective (donc pas seulement de la simple contemplation) et qu’il y a une intention de refaire appel à ces images par la suite, l’art. 197 ch. 3 bis CP est applicable. Toutefois, le navigateur web met des données en cache, est-ce de la possession ? Normalement non, mais selon une jurisprudence française, une personne qui surfe durant des heures est punissable car l’intention est claire : on ne peut pas ignorer qu’un enregistrement se fait. A mon avis, l’argument est discutable, mais comme expliqué ci-dessus, il faut étendre le champ d’application de la loi pour pouvoir réprimer le plus possible ces comportements déviants.

Les chiffres 4 et 5 ne nécessitent pas de plus amples explications, je m’arrête donc ici. La prochaine fois, j’aborderai d’autres dispositions pénales relatives à l’intégrité sexuelle, notamment en rapport avec les webcam.