Quand Amazon ferme votre compte et efface votre Kindle sans préavis
Supposons un instant que vous achetiez plusieurs livres papier dans une librairie, chez Payot, à la FNAC, sur Barnes & Noble voire sur Amazon. Pensez-vous un seul instant que ces magasins puissent venir les reprendre à votre domicile, sans explication et sans vous rembourser ? C’est pourtant ce qui peut vous arriver avec vos livres numériques (ou e-books) achetés sur Amazon et stockés sur votre Kindle.
Mais Amazon en a-t-il le droit ?
Les faits
L’affaire est rapportée par un blog norvégien. Une cliente d’Amazon a vu son compte Amazon être fermé et son Kindle effacé à distance, sans préavis ou avertissement. Croyant à une erreur, elle contacte Amazon qui lui répond que son compte a été fermé, car il aurait été lié à un autre compte qui a été fermé pour cause de violation des conditions générales d’utilisation du service d’Amazon. Rappelant qu’Amazon a le droit de fermer tout compte et d’en supprimer le contenu à tout moment, comme bon lui semble, Amazon indique à cette cliente que si elle tente de rouvrir un compte, celui-ci sera immédiatement supprimé. Après plusieurs échanges, Amazon ne concède rien et recommande à la cliente de chercher un autre commerçant qui saura répondre à ses besoins. Amazon déclare qu’aucune autre explication ne sera donnée.
En d’autres termes, en un clic, son compte a été supprimé, son Kindle effacé, tous ses e-books retirés, sans aucune explication. (De plus amples informations sur le comportement de la cliente peuvent être trouvées ici.)
Différencier propriété et licence
Comme je l’avais déjà expliqué dans l’article sur le sort de notre musique numérique et de nos applications à notre mort, il existe une différence fondamentale entre le droit de propriété et une licence :
Lorsque nous achetons un CD, un DVD, ou un livre réel (en opposition à numérique, donc), nous acquérons la propriété du support de l’œuvre ou, autrement dit, d’un exemplaire de l’œuvre. Toutefois, nous n’acquérons pas la propriété de l’œuvre qu’ils contiennent ; nous obtenons une licence d’utilisation de l’œuvre. Cela signifie qu’au moment de l’achat, l’auteur de l’œuvre nous octroie automatiquement une licence sur son œuvre. En plus du contrat de vente entre le vendeur du support et vous, un contrat tacite de licence est également passé entre l’auteur de l’œuvre et vous (si le vendeur est un tiers).
Cependant, cette situation n’est pas valable dans le cas de l’achat d’un livre numérique sur Amazon, d’un morceau de musique ou d’une application sur iTunes. En effet, les produits que nous croyons acheter nous sont en fait concédés sous licence. Cela signifie qu’on ne nous donne pas un droit de propriété sur un exemplaire de l’oeuvre (livre, musique, logiciel, etc.), seul un droit d’utilisation nous est octroyé. Dans le cas des livres numériques, Amazon nous offre un droit de lecture.
Lisez les CGU
On ne le répétera jamais assez. Les CGU (ou conditions générales d’utilisation, ou ToS soit Terms of Service) ne sont pas des documents anodins.
Les CGU interviennent en général dans le cas où une entreprise propose ses services ou produits à une grande quantité de personnes : dans une telle situation, l’entreprise ne peut raisonnablement pas rédiger et conclure un contrat individuel pour chaque client. Dès lors, on va standardiser ce contrat et créer des CGU qui seront annexées au contrat. Les CGU sont conçues par avance, ne font pas l’objet d’une négociation individuelle, et doivent être intégrées ou incorporées au contrat pour être valables. Le consommateur doit donc consentir à ce qu’elles soient incluses au contrat.
Le problème des CGU est qu’elles sont longues et compliquées à lire. Même un juriste peut s’y perdre facilement. En droit de la consommation (suisse et européen), il suffit que le consommateur ait pu prendre connaissance des CGU avant de conclure le contrat et qu’il les ait signées (ou qu’il ait signé un document renvoyant expressément aux CGU) pour qu’elles soient valables. Selon le principe de la confiance, si le consommateur a eu la possibilité de lire les conditions générales, mais qu’il les a signées sans les avoir lues, on considérera qu’il les a acceptées.
Il reste encore un écueil. Les CGU sont valables si elles ne contiennent pas de clause insolite. Une clause insolite répond à deux conditions. D’abord, une subjective, qui vise la partie inexpérimentée ou faible lors de la conclusion, c’est-à-dire qu’elle n’a pas pu s’attendre à ce que cette clause figure dans les conditions générales en raison de son inexpérience, ou celle qui n’avait pas le choix de contracter avec un autre professionnel. Puis, une objective, qui implique que la clause soit en contradiction avec les règles de la bonne foi [correction du 2.11.2012 selon le premier commentaire ci-dessous. Merci à son auteur !]. Une clause insolite peut être opposable au consommateur si elle a été valablement intégrée et mise en évidence, en droit suisse. En droit européen, une telle clause ne peut pas subsister : on estime qu’elle est inéquitable si le consommateur ne peut pas la négocier. En droit suisse, on ne vérifie donc que le consentement.
Le comportement d’Amazon se base-t-il sur une clause insolite ? Probablement pas. La pratique d’Amazon de ne concéder qu’une licence est très répandue et il revient au concédant de la licence de déterminer à quelles conditions elle est octroyée et à quelles conditions elle peut être révoquée. En achetant un e-book sur Amazon, le consommateur consent à ces conditions (exprimées dans les CGU), même s’il ne les a pas lues.
Enfin, Amazon doit-il donner des explications sur les raisons qui l’ont poussé à agir de la sorte ? Selon les CGU, non. Amazon a le droit de faire ce qu’il veut, dans les limites de ses CGU, avec les contrats de ses clients. Si cela peut paraitre choquant, ce n’est pas une situation exceptionnelle, d’autres plateformes ont des conditions similaires. De plus, comme le compte a été fermé à cause d’un lien avec un autre compte, le droit de la protection des données s’oppose à ce qu’Amazon communique à la cliente des informations sur le détenteur de l’autre compte.
Conclusion et recommandations
Cette affaire montre bien à quel point le consommateur est prisonnier et ne peut faire ce qu’il veut avec les “biens numériques” qu’il achète, et dont il croit, à tort, être le propriétaire.
Afin d’éviter ce genre de situation, le conseil que je peux vous donner est de sauvegarder régulièrement vos e-books, fichiers musicaux et applications sur un autre appareil que celui sur lequel vous lisez vos e-books ou écoutez votre musique. Changer le format du fichier (passer du format ePub au PDF, par ex.) est une sécurité supplémentaire.