François Charlet

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Au Canada, un prévenu peut chercher son avocat sur Internet. Et en Suisse ?

25/02/2013 4 Min. lecture Droit François Charlet

On a tous en tête la scène d’un film américain où on annonce à la personne que la police vient d’arrêter qu’elle a droit à un appel téléphonique (sous-entendu, pour contacter un avocat). Le Canada, par le biais d’un jugement, vient d’étendre ce droit : un prévenu a le droit non seulement d’appeler un avocat, mais il peut aussi utiliser Internet au poste de police afin d’en trouver un.

Au Canada

L’affaire se déroule dans la ville de Calgary, durant l’été 2011. Une nuit, un homme se fait arrêter au volant de sa voiture par la police. Celle-ci, soupçonnant que le taux d’alcoolémie dépassait la limite légale, a procédé à un test qui a démontré que le taux d’alcool était trop élevé. L’homme, désormais prévenu, a lu ses droits, attesté les avoir compris, et a ensuite été amené au poste de police. On lui a ensuite donné la possibilité d’utiliser un téléphone, sans surveillance, et après avoir fourni les numéros d’usage ainsi qu’un bottin (Pages blanches et Pages jaunes). Estimant ne pas avoir été satisfait par l’appel téléphonique (son correspondant était désagréable, n’a pas fourni plus d’informations que le policier, etc.), il a fait recours au motif qu’il n’a pas pu exercer son droit à bénéficier de l’assistance d’un avocat, et qu’on ne lui a pas donné assez d’information ou de ressources pour contacter un avocat. En particulier, on ne lui a pas fourni un accès à Internet.

Le juge s’est donc demandé si l’accès à Internet devrait faire partie intégrante des ressources mises à disposition par la police aux prévenus de façon à faciliter l’exercice de leur droit constitutionnel à bénéficier de l’assistance d’un avocat. Le prévenu a d’ailleurs déclaré que lorsqu’il avait besoin d’informations en général, il utilisait Google, et que Google était le principal moyen afin d’obtenir des informations sur tout et rien.

Le magistrat a estimé, sans doute avec raison, que les individus nés dans les années 1980 commencent par utiliser Internet pour obtenir des informations ou accéder à des services, avant d’envisager d’utiliser un bottin de téléphone, par exemple. Il reconnait que Google est un élément important dans la vie informationnelle de tous les jours. Dès lors, que se passe-t-il quand un jeune de 20 ans, arrêté pour la première fois, doit contacter un avocat pour sauvegarder ses droits constitutionnels ? Le juge répond : il utilisera d’abord Internet, puis les Pages blanches ou les Pages jaunes, le cas échéant.

En testant les mots-clés “Calgary criminal defence lawyers” sur Google, le juge a pu constater qu’un détenu peut obtenir, en cinq secondes, une liste des (meilleurs) avocats pouvant certainement assurer efficacement sa défense. Il a de plus estimé que ces informations étaient plus précises et plus actuelles que celles qu’on peut obtenir dans un bottin ou via un service de renseignement téléphonique. Donc, comme les policiers se servent quotidiennement d’Internet pour les affaires courantes et pour les investigations, il n’y a pas de raison, en 2013, pour refuser un accès à Internet à un prévenu afin de contacter un avocat alors qu’on lui propose un téléphone et un service de renseignement téléphonique ainsi qu’un bottin.

Qu’en est-il en Suisse ?

Selon l’art. 29 de la Constitution fédérale (Cst), les parties ont le droit d’être entendues. Ce droit implique notamment le droit d’être informé du contenu de l’accusation et le droit d’être informé sur ses droits (se taire, etc.). L’art. 32 Cst impose à l’État l’obligation de mettre le prévenu en état de faire valoir les droits de la défense.

Selon le Code de procédure pénale suisse (CPP), la police ou le Ministère public doit, entre autres, informer le prévenu qu’il a droit d’être assisté d’un défenseur (art. 158 CPP). L’avocat de la première heure (art. 159 CPP) permet au prévenu d’être assisté dès son premier interrogatoire (même par la police). L’art. 127 CPP consacre expressément le droit pour le prévenu d’être assisté par un avocat à n’importe quel stade de la procédure (sauf pour l’appréhension, art. 215 CPP).

Toutefois, il n’existe pas, à ma connaissance, de disposition légale définissant les modalités de l’exercice de ce droit. Le Tribunal fédéral n’a apparemment pas encore été saisi sur la question.

En Suisse, un prévenu a-t-il le droit, une fois arrêté, d’exiger un accès à Internet pour rechercher puis contacter un avocat ? Bien que je me demande si l’on peut exiger de chaque poste de police de fournir, en plus des moyens actuels, un ordinateur avec un accès à Internet (par exemple limité à la consultation du site de la Fédération Suisse des Avocats et des différents ordres cantonaux), je trouve que le raisonnement du juge canadien va dans le bon sens. Il ne faudrait évidemment pas limiter ce droit aux seuls individus nés dans les années 1980.

Internet a pris beaucoup d’importance et rend d’innombrables services, on pourrait sans doute concevoir que le refus d’accéder à Internet pour contacter un avocat constitue une violation des droits constitutionnels et procéduraux du prévenu.