François Charlet

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Explications sur la loi floridienne qui a acquitté Zimmerman

16/07/2013 6 Min. lecture Droit François Charlet

George Zimmerman a été acquitté des charges qui pesaient contre lui : selon la justice de Floride, ou plus précisément selon le jury du tribunal, Zimmerman s’est trouvé en état de légitime défense, ce qui rend l’homicide non punissable. De l’aveu même du prévenu, Trayvon Martin a bien été tué par le premier. Toute la question était de savoir si Zimmerman était en état de légitime défense.

Selon plusieurs juristes spécialistes américains, le verdict ne constitue pas vraiment une surprise.

Comme dans beaucoup de pays, le principe de la présomption d’innocence est appliqué en Floride. Il revient donc au procureur de prouver que le prévenu a bien commis l’acte qui lui est reproché. En l’occurrence, comme Zimmerman avait avoué avoir tué Trayvon Martin, le procureur devait balayer un motif d’acquittement : la légitime défense.

En principe, il revient à la personne invoquant la légitime défense de prouver s’être trouvée dans un état de légitime défense (même si cette personne est le prévenu et que la présomption d’innocence est applicable). En Floride, une loi de 2005 intitulée “Stand Your Ground” n’exige plus des personnes de tenter de fuir devant le danger imminent – si c’est possible – avant de recourir à la force (létale) pour se défendre. Elle crée une présomption sur la légalité de l’usage de cette force et immunise celles et ceux qui tuent en état de légitime défense une autre personne. De plus, elle fait reposer le fardeau de la preuve sur les épaules du procureur : ainsi, c’est à lui de prouver que le prévenu n’était pas en situation de légitime défense.

Certes, on dira ce qu’on voudra sur le volet racial sous-jacent dans cette affaire. Zimmerman aurait-il suivi Martin s’il avait été blanc ? Aurait-il eu des soupçons et aurait-il approché Martin avec la même attitude et violence ? Chacun a son opinion sur la question. Il n’en reste pas moins que la loi floridienne (bien qu’inapplicable quant à son aspect principal) inverse le fardeau de la preuve en matière de légitime défense, et, juridiquement, c’est là l’aspect le plus contestable. Il n’est pas certain que Zimmerman s’en serait sorti s’il avait dû lui-même convaincre les jurés de son état de légitime défense, au lieu de regarder le procureur essayer de se dépêtrer. Juridiquement, cette loi a eu un impact vraiment important.

En Suisse

Le Tribunal rappelle fréquemment la définition de la légitime défense en droit suisse (cf. arrêt du 12 mai 2005, 6S.29/2005).

La légitime défense suppose une attaque, c’est-à-dire un comportement visant à porter atteinte à un bien juridiquement protégé, ou la menace d’une attaque, soit le risque que l’atteinte se réalise. Il doit s’agir d’une attaque actuelle ou à tout le moins imminente, ce qui implique que l’atteinte soit effective ou qu’elle menace de se produire incessamment. Cette condition n’est pas réalisée lorsque l’attaque a cessé ou qu’il n’y a pas encore lieu de s’y attendre. Une attaque n’est cependant pas achevée aussi longtemps que le risque d’une nouvelle atteinte ou d’une aggravation de celle-ci par l’assaillant reste imminent. S’agissant en particulier de la menace d’une attaque imminente contre la vie ou l’intégrité corporelle, celui qui est visé n’a évidemment pas à attendre jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour se défendre. Il faut toutefois que des signes concrets annonçant un danger incitent à la défense. Tel est notamment le cas lorsque l’agresseur adopte un comportement menaçant, se prépare au combat ou effectue des gestes qui donnent à le penser. Par ailleurs, l’acte de celui qui est attaqué ou menacé de l’être doit tendre à la défense. Un comportement visant à se venger ou à punir ne relève pas de la légitime défense. Il en va de même du comportement qui tend à prévenir une attaque certes possible mais encore incertaine, c’est-à-dire à neutraliser l’adversaire selon le principe que la meilleure défense est l’attaque.

La défense doit apparaître proportionnée au regard de l’ensemble des circonstances. À cet égard, on doit notamment examiner la gravité de l’attaque, les biens juridiques menacés par celle-ci et par les moyens de défense, la nature de ces derniers ainsi que l’usage concret qui en a été fait. La proportionnalité des moyens de défense se détermine d’après la situation de celui qui voulait repousser l’attaque au moment où il a agi. Les autorités judiciaires ne doivent pas se livrer à des raisonnements a posteriori trop subtils pour déterminer si l’auteur des mesures de défense n’aurait pas pu ou dû se contenter d’avoir recours à des moyens différents, moins dommageables. Il est aussi indispensable de mettre en balance les biens juridiquement protégés qui sont menacés de part et d’autre [note de FC : par ex. l’intégrité corporelle, sexuelle, le patrimoine, la sécurité de l’État, etc.]. Encore faut-il que le résultat de cette pesée des dangers en présence soit reconnaissable sans peine par celui qui veut repousser l’attaque, l’expérience enseignant qu’il doit réagir rapidement.

[…]

La légitime défense implique une attaque ou une menace d’attaque effective. Il se peut toutefois que l’auteur ait agi en état de légitime défense putative, c’est-à-dire qu’il ait cru, erronément, se trouver dans une situation de fait constituant la légitime défense au sens de l’art. 33 CP, autrement dit qu’il ait cru, par erreur, qu’il était attaqué ou menacé de l’être. Conformément à l’art. 19 al. 1 CP, l’auteur doit alors être jugé selon sa représentation erronée des faits dès lors qu’elle lui est favorable. Si son erreur était évitable, il est punissable pour négligence, autant que la loi réprime son acte comme délit de négligence (art. 19 al. 2 CP).

Si l’on va au-delà des bornes de la légitime défense, il est toutefois possible de s’en sortir (cf. arrêt du 14 mars 2007, 6S.38/2007).

Selon l’art. 33 al. 2 phr. 2 CP, celui qui repousse une attaque en excédant les bornes de la légitime défense n’encourra aucune peine si cet excès provient d’un état excusable d’excitation ou de saisissement causé par l’attaque.

L’auteur de l’excès n’encourt donc pas de peine dans la mesure seulement où l’attaque sans droit est la seule cause ou la cause prépondérante de l’excitation ou du saisissement de celui qui se défend, à condition encore que la nature et les circonstances de l’attaque rendent excusable cette excitation ou ce saisissement. Comme dans le cas du meurtre par passion, c’est l’état d’excitation ou de saisissement qui doit être excusable, non pas l’acte par lequel l’attaque est repoussée. La loi ne précise pas plus avant le degré d’émotion nécessaire; il ne doit pas forcément atteindre celui d’une émotion violente au sens de l’art. 113 CP, mais doit revêtir une certaine importance. Il appartient au juge d’apprécier de cas en cas si l’excitation ou le saisissement étaient suffisamment marquants pour que l’auteur de la mesure de défense n’encoure aucune peine et de déterminer si la nature et les circonstances de l’attaque rendaient excusable un tel degré d’émotion. Il sera d’autant plus exigeant que la riposte aura été plus nocive ou dangereuse. Mais il n’est pas nécessaire que la réaction ne paraisse pas fautive; il suffit qu’une peine ne s’impose pas. Malgré la formulation absolue de la loi, un certain pouvoir d’appréciation est laissé au juge.