François Charlet

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La CNIL souhaite un droit au déréférencement. Et vous ?

15/04/2013 4 Min. lecture Droit François Charlet

La future réforme du règlement européen relatif à la protection des données personnelles pourrait instaurer – si les lobbys américains échouent – un droit à l’oubli numérique, à certaines conditions. Le débat est lancé depuis plusieurs mois et met d’un côté de la balance la protection des données et de la personnalité ainsi que la transparence et le consentement au traitement des données, de l’autre les revenus des acteurs de l’industrie technologique et leur innovation.

La CNIL, Commission nationale de l’informatique et des libertés en France, entend contribuer à la réalisation et à la mise sur pied de ce droit oubli. Elle va également un peu plus loin en voulant instaurer comme composante du droit à l’oubli un droit au déréférencement (ou désindexation) des moteurs de recherche.

Isabelle Falque-Pierrotin, Présidente de la CNIL, a déclaré sur France Info vouloir instaurer

un droit au déréférencement qui permettrait au citoyen que ses données personnelles n’apparaissent plus dans les résultats des moteurs de recherche lorsque le droit à l’effacement a été reconnu pour le citoyen.

Une difficile mise en oeuvre ?

Il est probable que les droits des citoyens se trouveront renforcés avec le droit à l’oubli, en particulier contre les moteurs de recherche. Toutefois, celui-ci devra être mis en balance avec la liberté de l’information et la liberté de la presse. Cela posera certainement quelques problèmes. Il est par ailleurs certain qu’un droit à l’oubli réduira également la transparence et l’accès à l’information.

Actuellement, les sites web des journaux et groupes de presse sont indexés par les moteurs de recherche, voire archivés pour plusieurs mois. Imaginez que vous deveniez célèbre pour une raison ou pour une autre (bonne ou mauvaise) et que vous désiriez exercer votre droit à l’oubli contre les moteurs de recherche. Devez-vous demander à ce que ces derniers procèdent à un nettoyage en profondeur, à ce qu’ils ne suppriment que ce qui répond à certains mots-clé ? Et que dire des sources des résultats des moteurs de recherche ? Les sites de journaux, les blogs, les publications des réseaux sociaux et Wikipedia pourront-ils aussi être sommés de prendre des mesures pour empêcher le référencement ? Et je ne mentionne pas les articles scientifiques ou historiques indexés : devraient-ils être déréférencés eux aussi ?

Ce que prévoit actuellement la réforme européenne

Dans un considérant 53 amendé, la réforme prévoirait ceci :

les personnes concernées devraient avoir le droit d’obtenir que leurs données soient effacées et ne soient plus traitées, lorsque ces données ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été recueillies ou traitées, lorsque les personnes concernées ont retiré leur consentement au traitement ou lorsqu’elles s’opposent au traitement de données à caractère personnel les concernant ou encore, lorsque le traitement de leurs données à caractère personnel n’est pas conforme au présent règlement. Toutefois, la conservation des données devrait être autorisée lorsqu’elle est nécessaire à des fins statistiques ou de recherche historique ou scientifique, pour des motifs d’intérêt général dans le domaine de la santé publique, ou à l’exercice du droit à la liberté d’expression, si elle est requise par la loi ou s’il existe une raison de limiter le traitement des données au lieu de les effacer.

Le droit suisse actuel

Pour le moment, le droit suisse ne consacre pas de droit à l’oubli. L’art. 15 de la loi fédérale sur la protection des données personnelles (LPD) ne fait qu’imposer la destruction des données dans le cas d’une atteinte à la personnalité.

Le Tribunal fédéral a eu l’occasion, il y a longtemps, de se pencher sur le droit à l’oubli. C’était il y a plus de 15 ans (ATF 122 III 449, JT 1998 I 131 ; ATF 109 II 353, JT 1985 I 98 ; ATF 111 II 209, JT 1986 I 600). Qu’a-t-il dit ?

Dans le cas d’un tollé général et médiatique sur des crimes graves commis par un individu, le TF a déclaré que la place de cet individu dans l’histoire contemporaine justifie l’incursion jusque dans tréfonds de sa personnalité et de l’histoire de sa vie. Mais on ne peut pas en déduire que sa personnalité reste accessible au public dans même mesure pour tous les temps. Purger sa peine est une resocialisation qui exige que l’oubli (faisant partie du cours normal des choses) intervienne. C’est d’autant plus vrai quand la peine a été radiée [du casier judiciaire, ndr]. Le TF rappelle encore que la vérité ne permet pas toujours de diffuser des éléments constituant une atteinte à la personnalité. Il reconnait toutefois qu’il n’y a pas de droit à l’oubli au regard de la liberté de la presse, celle-ci étant toutefois limitée par l’art. 28 du Code civil suisse protégeant la personnalité.

La multiplicité des intérêts et la complexité de la réflexion rendent difficile l’élaboration de nouvelles solutions.

Et vous, qu’en pensez-vous ?