François Charlet

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La disposition constitutionnelle grecque qui a permis de fermer la radiotélévision publique

12/06/2013 3 Min. lecture Droit François Charlet

Le 11 juin 2013, vers 23h00, le gouvernement grec a déconnecté - manu militari et sans avertissement préalable - l’émetteur principal et toutes les antennes du service public audiovisuel, mettant un terme aux émissions des trois chaines de la télévision publique Elliniki Radiofonía Tileórasi (ERT). En cause : la mauvaise gestion, un manque de transparence dans la comptabilité, des privilèges indus, des dépenses incroyables, etc.

C’est grâce à une étrange disposition constitutionnelle grecque (art. 44, paragraphe 1) que cette décision a été prise, sous la forme d’un décret présidentiel.

Dans des cas exceptionnels d’une nécessité extrêmement urgente et imprévue, le président de la République peut, sur proposition du Conseil des Ministres, édicter des actes de contenu législatif. Ces actes sont soumis à la Chambre des députés pour ratification, selon les dispositions de l’article 72 paragraphe 1, dans les quarante jours à compter de leur édiction ou dans les quarante jours à compter de la convocation de la Chambre en session. S’ils ne sont pas soumis à la Chambre dans les délais ci-dessus ou s’ils ne sont pas ratifiés par elle dans les trois mois à partir de leur dépôt, ils deviennent caducs pour l’avenir.

Le gouvernement a annoncé aujourd’hui le dépôt d’un projet de loi qui réorganise tout le paysage audiovisuel grec (radio, télévision et Internet) en créant une nouvelle société publique appelée Nerit SA. Cette société sera indépendante d’un point de vue rédactionnel et pour la programmation. Ce décret contient des bases législatives, en l’occurrence celles mentionnées auparavant, mais il n’a pas encore été signé par le Président de la République. (Sa signature aura donc un effet rétroactif pour la journée d’hier et d’aujourd’hui au moins.) La manoeuvre est donc totalement politique et antidémocratique.

Fort heureusement (si l’on peut le dire ainsi), deux des trois partis de la coalition gouvernementale sont en désaccord avec cette mesure et ont annoncé qu’ils ne l’accepteraient pas lorsqu’elle sera amenée devant le Parlement.

Ce décret, adopté selon les médias pour un gouvernement grec qui veut à tout prix satisfaire ses créanciers et notamment la troïka (le “triumvirat” composé de l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international), est une honte, une aberration digne des plus immondes dictatures. Sous pression pour trouver 2000 emplois publics à supprimer, le gouvernement anéantit la liberté de l’information (art. 5a de la constitution grecque) et le droit à la libre formation de l’opinion de sa population. Selon la constitution hellène,

des restrictions à ce droit ne peuvent être posées par une loi que si elles sont absolument nécessaires et justifiées par des motifs de sûreté nationale, de lutte contre le crime ou de protection des droits et intérêts des tiers.

Au vu de la situation générale actuelle du pays, les hellènes ont non seulement le droit d’exiger une information indépendante et diversifiée, mais surtout un réel besoin d’obtenir cette information, de la manière la plus complète qui soit. On peut se demander si le gouvernement grec a fait une sage pesée des intérêts.

Comme l’a rappelé l’Union européenne de radio-télévision (UER),

l’existence de médias de service public et leur indépendance à l’égard du gouvernement sont au coeur de la société démocratique.