François Charlet

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ReDigi  : les USA jugent illégale la revente de fichiers musicaux

10/04/2013 3 Min. lecture Droit François Charlet

Il y a quelques jours, dans l’affaire opposant Capitol Records à ReDigi, un juge américain a jugé que la revente de fichiers musicaux d’occasion constituait une atteinte aux droits d’auteur.

En 2011, le service ReDigi a été lancé afin de proposer à des utilisateurs américains de racheter des fichiers musicaux à d’autres utilisateurs américains qui n’écoutaient plus ces morceaux. De la même manière qu’on revend une voiture d’occasion via un service sur Internet, ReDigi servait d’intermédiaire pour la revente de fichiers musicaux. ReDigi s’assurait que le fichier avait été “acquis” légalement (sur iTunes ou ReDigi, par ex. mais pas ceux extraits d’un CD) et que le vendeur n’en conservait pas une copie sur son ordinateur. (Je ne me suis jamais servi de ce service, mais je pense qu’il ne doit pas être très compliqué de conserver une copie du fichier sur un disque externe avant de revendre “l’original”.)

ReDigi estimait être couvert par la first sale doctrine, une règle juridique qui interdit à l’ayant droit (par ex. l’auteur d’une oeuvre) de percevoir de l’argent pour la revente ultérieure de son oeuvre. En d’autres termes, quand vous revendez votre Mazda, la société Mazda ne perçoit rien du prix de la revente, car il y a eu un transfert de propriété en votre faveur à l’origine : la voiture vous appartient et vous en faites ce que vous voulez. On applique le même concept au droit d’auteur.

En 2012, Capitol REcords, une filiale du groupe EMI, demande une injonction contre ReDigi mais essuie un rejet. La deuxième tentative a été la bonne. Le 30 mars 2013, la District Court du Southern District of New York a admis la plainte.

La first sale doctrine n’a pas été retenue. Premièrement parce que la reproduction du fichier (depuis l’ordinateur du vendeur sur l’ordinateur de l’acheteur) est illégale : le vendeur vend une copie du fichier d’origine qui est stockée sur les serveurs de ReDigi puis transférée sur l’ordinateur de l’acheteur ; dans ce cas, la reproduction du fichier est illégale, car non autorisée par l’ayant droit et le fair use serait ici inapplicable. De plus – et c’est l’argument principal –, la first sale doctrine serait inapplicable aux fichiers numériques et ne concernerait que les biens physiques. Ainsi, le seul moyen de revendre des fichiers numériques protégés par le droit d’auteur sans l’accord de l’ayant droit serait de vendre le support sur lequel ils se trouvent (disque dur, clé USB, etc.). Si l’ayant droit donne son accord préalable pour cette reproduction (pour laquelle il peut demander une compensation), la revente n’est pas interdite.

Pour rappel, il y a quelques jours, la Cour Suprême des États-Unis rendait une décision dans laquelle elle reconnaissait l’application de la first sale doctrine pour les livres achetés à l’étranger.

Et en Europe ?

La Cour de Justice de l’Union européenne avait décidé l’année passée que

le transfert par le titulaire du droit d’auteur d’une copie d’un programme d’ordinateur à un client, accompagné de la conclusion, entre ces mêmes parties, d’un contrat de licence d’utilisation, constitue une “première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur”.

Ainsi, il n’est pas impossible que, par analogie (après tout, un logiciel apparait comme juridiquement similaire à un fichier musical), le jugement de la Cour soit aussi applicable aux fichiers musicaux en Europe. ReDigi souhaitant faire appel de la décision américaine et dans le même temps ouvrir son service aux Européens, nous devrions être fixés dans quelques mois.