François Charlet

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Le "Like" sur Facebook protégé aux USA par la liberté d'expression, et en Suisse ?

26/09/2013 5 Min. lecture Droit François Charlet

Le 18 septembre dernier, aux États-Unis, une cour d’appel fédérale du 4e Circuit a admis l’appel de plusieurs employés d’un shérif local qui ont été licenciés après avoir “liké” (ou aimé) la page de l’opposant au shérif pour une prochaine élection.

En première instance, devant la Cour de District du District de la Virginie de l’Est, la justice avait estimé que le fait de cliquer sur le bouton “Like” (J’aime) ne constituait pas un discours tel que défini par la Constitution des États-Unis et la jurisprudence y afférente. De fait, cliquer sur ce bouton sur Facebook ne relève pas de la liberté d’expression et cette action ne peut être protégée par le premier amendement.

En appel, la Cour a interprété la situation différemment.

Pour simplifier, cliquer sur le bouton “like” fait apparaitre la mention que l’utilisateur “aime” quelque chose, ce qui, en soi, est une déclaration de fond. Concernant une page Facebook utilisée pour une campagne électorale, il est incontestable que la signification du clic sur le bouton “like” est que l’utilisateur approuve la candidature de la personne concernée. Qu’un utilisateur puisse d’un simple clic produire un message comme quoi il aime la page au lieu d’écrire le même message avec le clavier n’a aucune portée constitutionnelle.

Texte original ci-dessous :

Once one understands the nature of what Carter did by liking the Campaign Page, it becomes apparent that his conduct qualifies as speech. On the most basic level, clicking on the “like” button literally causes to be published the statement that the User “likes” something, which is itself a substantive statement. In the context of a political campaign’s Facebook page, the meaning that the user approves of the candidacy whose page is being liked is unmistakable. That a user may use a single mouse click to produce that message that he likes the page instead of typing the same message with several individual key strokes is of no constitutional significance.

La Cour compare même le “like” au fait d’afficher un signe politique (comme une pancarte, ndr) devant sa maison, ce que la Cour Suprême des États-Unis a considéré comme relevant de la liberté d’expression.

En Suisse

A ma connaissance, aucun jugement n’a été rendu en la matière, que ce soit sur un cas de licenciement (par une personne privée ou une collectivité publique) ou sur une autre matière. Quoi qu’il en soit, on peut légitimement supposer qu’on arriverait à la même conclusion en Suisse si un cas de genre se présentait.

En Suisse, l’art. 16 de la Constitution fédérale consacre la liberté d’opinion. Cette disposition protège le contenu des idées, leurs formes d’expression et leurs moyens de transmission et réception. La notion d’opinion est large et intègre en particulier tout jugement, toute appréciation, toute idée, toute manifestation de pensée, toute activité politique, toute prise de position. Et ce, quelle que soit la réaction qu’elle provoque (des exceptions sont évidemment prévues, notamment dans le Code pénal et le Code civil).

Il est donc, à mon avis, parfaitement soutenable d’assimiler un “like” sur une page, un statut ou une photo à l’expression d’une approbation ou opinion qui, sans l’informatique, aurait été verbale ou écrite.

Réflexion en matière de droit du travail

Transposons le cas américain en Suisse. Les autorités fédérales peuvent licencier un employé pour diverses raisons (art. 10 LPers). Les autorités cantonales et communales ont en général des règles similaires, et décident parfois d’appliquer les dispositions du Code des obligations à titre supplétif (comme l’a fait le canton de Vaud, art. 61 LPers-VD). Un employeur privé peut licencier un employé sans préavis selon l’art. 337 CO.

Mais une collectivité peut-elle licencier un employé qui a émis sur Facebook une opinion politique concernant une élection ? À vrai dire, je ne sais pas vraiment – je suis actuellement à l’étranger, très loin de ma bibliothèque et de mes (res)sources juridiques, et je ne suis pas spécialiste en droit du travail – mais voici quelques éléments de réflexion. Si vous avez une autre opinion, les commentaires sont ouverts.

Les fonctionnaires ont un devoir de fidélité par rapport à leur employeur, et cela justifie des restrictions particulières à leur liberté d’expression. Ils doivent aussi respecter, en dehors de leur temps de travail, un certain devoir de réserve et notamment s’abstenir de porter préjudice à la confiance du public en l’administration étatique.

Cependant, pour résilier immédiatement un contrat de travail de manière unilatérale, il faut un juste motif qui empêche de manière définitive la continuation des rapports de travail. L’exercice d’un droit constitutionnel ne rentre en principe pas dans la catégorie des justes motifs, à moins évidemment que l’exercice de ce droit ne viole une obligation issue du contrat de travail.

Est-ce que le fait d’aimer la page Facebook du candidat à l’élection pour le poste du supérieur hiérarchique (candidat également) est susceptible de rompre irrémédiablement le lien de confiance qui unit l’employé à son supérieur ? C’est possible.

Il me semble en tout cas évident que ce n’est pas la meilleure des choses à faire si vous souhaitez entretenir de saines et cordiales relations au travail avec ce supérieur, mais est-ce que cela constitue une violation grave du contrat de travail et/ou du devoir de réserve de l’employé qui puisse justifier un renvoi immédiat ? Il faut analyser les droits et obligations inscrits dans le contrat de travail, mais j’ai des doutes.

Après tout, aimer la page d’un concurrent ne constitue pas forcément une critique ou une désapprobation du travail du supérieur, par exemple. On peut déduire plein de choses de ce simple clic mais il est probable qu’on reconnaisse qu’il y a violation du devoir de fidélité. Toutefois, si un juge venait à estimer – comme moi – que le simple fait de “liker” une page ne signifie pas (plus ?) grand chose et peut tout à fait être imputable à de la curiosité, la situation pourrait se retourner contre l’employeur.

Quoi qu’il en soit, bien que tout ce qu’on fait ou dit sur Facebook ne permette pas à un employeur de licencier un employé immédiatement, bien que l’Etat ne puisse en principe pas nous empêcher d’exprimer nos opinions, il est bon de garder à l’esprit que toute chose (véridique ou non) n’est pas bonne à dire, et que malgré les garanties constitutionnelles, toute opinion n’est pas bonne à manifester. C’est certainement regrettable, mais c’est comme ça.