Pourquoi s'offusquer de la surveillance de l'État alors qu'on raconte notre vie sur Internet ?
Voilà la question qui a été publiquement posée par l’avocat général de la NSA, Robert Litt. C’est vrai ça ! Pourquoi s’offusquer de la surveillance de l’État alors qu’on raconte notre vie sur Internet ?
Différences
Il y a évidemment une différence entre les informations révélées volontairement et celles collectées par l’État, dans certains cas légalement ou avec une portée qui n’avait pas nécessairement été imaginée. Il est cependant intéressant de constater qu’on est très sensible quand le gouvernement touche à nos données personnelles (bien que nous, le peuple ou ses représentants, l’y aillons souvent autorisé) alors qu’on est plutôt insouciant quand il s’agit de partager ces mêmes données sur Internet. On ne réfléchit pas forcément, on ne fait pas nécessairement attention à quelles données on donne accès et à qui on fournit ces données.
Quand on s’inscrit sur Facebook, Twitter, Google +, ou d’autres sites (sociaux ou non), on dévoile souvent un nom, une photo et/ou une vidéo, un curriculum vitae, le statut conjugal, le sexe, l’âge, l’orientation sexuelle, les intérêts (livre, musique, cinéma, etc.), l’orientation politique, la religion, etc. Si la majorité de ces informations répond à la définition de “donnée personnelle” au sens de l’article 3 de la loi fédérale sur la protection des données, certaines sont considérées comme des données sensibles par cette même loi.
On peut aller encore plus loin en partageant avec d’autres notre localisation actuelle, avec Foursquare par exemple. Quelques personnes ou des centaines de milliers peuvent savoir où nous étions, à quelle heure et avec qui, combien de fois on y a été et si on y est en ce moment. D’autres applications (Highlight, par exemple) partagent notre localisation et nous notifient quand un autre utilisateur – même un inconnu – se trouve à proximité, permettant alors de consulter de nombreuses informations au sujet de cette personne. Et cela ne nous pose aucun problème.
Après tout, ce n’est qu’une forme de jeu, n’est-ce pas ? Chaque année, plusieurs scandales éclatent concernant la protection des données sur Internet, beaucoup proviennent des réseaux sociaux. Ces nombreux signaux nous rappellent que nous appartenons virtuellement à ces réseaux sociaux, ce qu’on a vite fait d’oublier au vu de l’amusement et du plaisir que procurent ces réseaux.
Pourquoi s’offusquer ?
Alors, doit-on vraiment s’offusquer de l’espionnage étatique, de PRISM, alors qu’on partage nous-mêmes volontairement une quantité astronomique d’informations avec des personnes privées ? Je crois que oui, même si la ligne de séparation est ténue.
Il y a plusieurs raisons. Tout d’abord, lorsqu’on divulgue nos informations, on le fait dans un but précis : utiliser un service. Et nous sommes l’initiant de l’échange : la requête vient du service, et nous acceptons cet échange. Mais si les informations sont rendues publiques, elles ne sont pas pour autant étiquetées “servez-vous”. En pratique, on le sait, c’est bien différent.
De plus, ces services que nous utilisons ont des “privacy policies”, ou politiques de confidentialité. Certes, on l’a vu et on le sait, leur portée est en général assez limitée et ne met pas à l’abri de brèches dans la vie privée. L’avantage est que nous avons en général la possibilité de déterminer qui peut consulter quelle information. Quant à l’État, il se borne à dire que si l’on ne veut pas qu’il voie ces informations, il ne faut pas les publier. Ne pourrions-nous pas alors avoir l’option “interdire au gouvernement de collecter et utiliser ces données” par exemple ?
Ensuite vient la question de l’avantage qu’on retire de cette publication. Si nous acceptons de partager autant d’informations à notre sujet, c’est parce que nous avons – en principe – compris que c’est une forme de paiement en contrepartie de la gratuité du service qu’on utilise (par ex. un réseau social). L’avantage est direct, perceptible, souvent immédiat. A l’inverse, lorsque l’Etat collecte des informations, même si elles sont identiques à celles qu’on publie volontairement, on n’en retire aucun avantage, à part une (supposée ?) sécurité accrue et une (hypothétique ?) plus grande efficacité de la lutte antiterroriste. Dans tous les cas, l’avantage n’est pas palpable au quotidien.
Enfin, ne voulons-nous pas croire que l’Etat a des choses plus importantes à faire que de surveiller ses citoyens ou ceux de l’État voisin ? Ne peut-il pas laisser tranquilles nos interactions privées ? Et par “privées”, j’entends les interactions non publiques, mais aussi celles qui sont faites entre personnes privées et qui ne regardent pas l’État. Quelle dérangeante impression pour les citoyens que celle donnée par un Etat qui regarde par-dessus leur épaule.
Bref, pour conclure, il faut admettre que bien que nous partagions nos informations très facilement, parfois sans en être vraiment conscients, et que nous les rendions également publiques dans beaucoup de situations, on s’attend quand même à bénéficier d’une certaine vie privée. Et, surtout, on ne s’attend pas à ce que l’État accède à nos informations et les utilise, simplement parce qu’elles sont publiques.
Le mot de la fin reviendra à un tribunal américain. La Cour Suprême de l’Etat du New Jersey a estimé qu’on n’utilise pas un téléphone portable dans le but de fournir notre localisation à l’Etat et à ses services (y compris judiciaires). J’en déduis qu’il doit en aller de même pour Internet, le web, les réseaux sociaux, etc.
(Article inspiré de différentes publications par The Guardian, TechDirt, ArsTechnica et FindLaw)