François Charlet

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Quand une école impose à ses élèves de porter un bracelet de géolocalisation

11/01/2013 4 Min. lecture Droit François Charlet

Les faits ne se déroulent pas en Suisse, ni en Europe, mais aux États-Unis. Une “high school” texane (l’équivalent américain du gymnase suisse ou du lycée français) a exclu une étudiante qui refusait de porter un bracelet avec une puce RFID permettant de suivre à la trace (sur le campus) les étudiants qui les portent. L’étudiante exclue a alors fait appel de cette décision ce qui lui a permis d’obtenir l’effet suspensif de cette décision. Deux mois plus tard, un juge de district a rejeté l’appel, confirmant donc l’exclusion.

Alors que cette pratique a été critiquée par des associations de défense de la liberté d’expression et de la vie privée notamment, l’étudiante avait invoqué la violation de la liberté religieuse, estimant que ce bracelet symbolisait la marque de Satan.

L’école a enjoint l’étudiante à changer d’établissement si cela lui posait problème. Elle a même proposé de retirer la puce RFID de la carte d’étudiant de l’étudiante si elle mettait un terme à sa campagne de lutte contre l’utilisation de ces puces RFID. L’étudiante a refusé. Le juge a estimé que l’école avait suffisamment proposé d’alternative et fait de proposition pour un arrangement, raison pour laquelle l’appel a été rejeté.

Il faut savoir que le but de l’école n’était pas à proprement parler d’espionner ses étudiants ; il était essentiellement financier. En effet, les revenus de cette école publique sont liés à sa fréquentation : si elle arrive à prouver que les étudiants sont bel et bien en cours pendant les heures d’enseignement, l’État augmente le budget de l’école.

La Suisse pourrait-elle faire la même chose ?

À n’en pas douter, cela pourrait poser des problèmes.

Tout d’abord, les écoles suisses ne reçoivent pas une enveloppe budgétaire dont le montant dépend, entre autres, du taux de fréquentation des cours par les élèves. Une motivation financière serait donc exclue pour justifier un tel système.

Ensuite, on se trouverait face à une collecte de données personnelles, selon la loi fédérale sur la protection des données (LPD). Cette loi trouverait application dans le cas d’une école privée. Si c’est une école publique qui est concernée, ce sera la loi vaudoise sur la protection des données (LPrD) qui s’appliquera, au vu de la lettre e de l’alinéa 2 de son article 3.

S’il ne fait pas de doute que des données personnelles sont collectées – nom, prénom, données sur le mouvement, etc. –, il n’est pas certain qu’on soit face à des données sensibles (art. 3 LPD, art. 4 LPrD).

Une école privée pourrait proposer aux élèves de porter de tels bracelets si elle respecte les principes généraux de la LPD et que les élèves (ou leurs parents si les élèves ne sont pas capables de discernement) consentent à porter ce bracelet. Il faudrait encore vérifier que la proportionnalité de cette mesure est respectée, la vie privée des élèves étant atteinte. Un motif sécuritaire pourrait suffire par exemple si l’école fait face à de nombreux cas d’élèves sortant du périmètre de l’école sans autorisation, ce qui engage la responsabilité de l’école. Dans un tel cas, le port du bracelet devrait se limiter qu’aux élèves posant des problèmes de ce genre. L’intérêt privé des élèves (art. 13 LPD) pourrait aussi justifier l’atteinte à leur personnalité que constitue le port d’un bracelet avec puce RFID. Dans tous les cas, une pesée des intérêts doit être effectuée.

Une école publique ne pourrait pas instaurer de telles mesures sans qu’une base légale ne l’y autorise ; il faudrait encore que la mesure serve à l’accomplissement d’une tâche publique (art. 5 al. 1 LPrD).

Pour l’heure, je doute que la Suisse soit candidate à l’instauration de bracelets électroniques dans les écoles. Non seulement car il est peu probable que la population accepte ce type de mesure, mais aussi car le cadre légal en limiterait la portée (à moins d’un changement, évidemment).