François Charlet

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Selon le TF, les hébergeurs de plateformes de blogs sont responsables de leur contenu

13/02/2013 5 Min. lecture Droit François Charlet

Le Tribunal fédéral a rendu un arrêt très attendu en date du 14 janvier 2013, dans une affaire genevoise. La décision concerne la responsabilité d’un hébergeur de blogs pour des propos attentatoires à la personnalité tenus par l’auteur d’un de ces blogs. Le Tribunal, dans son argumentation, a tranché la controverse : bien que l’auteur des propos soit effectivement l’auteur principal de l’atteinte, l’hébergeur a “contribué à son développement et, partant, y a participé”.

La décision

L’hébergeur s’est plaint d’une violation des art. 28 al. 1 et 28a al. 1 et 2 CC dont voici la teneur :

Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe.

Le demandeur peut requérir le juge:

  1. d’interdire une atteinte illicite, si elle est imminente;
  2. de la faire cesser, si elle dure encore ;
  3. d’en constater le caractère illicite, si le trouble qu’elle a créé subsiste.

Il peut en particulier demander qu’une rectification ou que le jugement soit communiqué à des tiers ou publié.

Selon le Code civil, donc, la victime de l’atteinte peut agir contre toute personne qui participe à l’atteinte. Selon le Message du 5 mai 1982 concernant la révision du Code civil suisse (cf. p. 681),

cette formulation vise non seulement l’auteur originaire de l’atteinte, mais aussi toute personne dont la collaboration cause, permet ou favorise celle-ci, sans qu’il soit nécessaire qu’elle ait commis une faute.

Le Tribunal fédéral explique que (considérant 6.2)

peut ainsi être concerné celui qui, sans être l’auteur des propos litigieux ou même en connaître le contenu ou l’auteur, contribue à leur transmission. Le lésé peut agir contre quiconque a objectivement joué, que ce soit de près ou de loin, un rôle - fût-il secondaire - dans la création ou le développement de l’atteinte.

Il ajoute même que (considérant 6.2)

si le lésé [a], en règle générale, avantage à s’en prendre à la personne dont l’influence est la plus grande, il reste juge de l’opportunité de son choix et peut même choisir de ne rechercher que celui qui joue un rôle secondaire.

Il conclut son argumentaire comme suit :

En l’espèce, l’atteinte à la personnalité résulte de la publication d’un texte rédigé par B. sur internet, soit plus précisément sur le blog de ce dernier, hébergé par X. sur son propre site internet. Si le prénommé est l’auteur originaire de la lésion aux intérêts personnels, la recourante, en lui fournissant l’espace internet sur lequel il a pu créer son blog, a permis la diffusion du billet incriminé auprès du public et d’un large cercle de lecteurs. Elle ne dit d’ailleurs pas autre chose lorsqu’elle déclare se borner à “mettre à disposition des internautes une structure de communication” et n’être “qu’un intermédiaire qui participe […] à la propagation” de l’information et la rend “accessible sans en être l’auteur”. En définitive, si elle n’est pas l’auteur de l’atteinte, elle a contribué à son développement et, partant, y a participé conformément à l’art. 28 al. 1 CC.

Lorsqu’elle prétend que l’on ne saurait comparer la position de l’hébergeur de blogs à celle d’un journal qui publie des lettres de lecteur, elle semble méconnaître que la légitimation passive n’est pas liée à la maîtrise ou non du contenu des propos rapportés.

De même, elle tombe à faux lorsqu’elle se prévaut du fait qu’il lui serait impossible de contrôler constamment le contenu de tous les blogs hébergés. Ces éléments, en particulier le devoir d’attention et de contrôle requis de chacun, ressortissent à la question de la faute qui n’est pas pertinente dans le cadre des actions défensives du droit de la personnalité […].

La recourante se méprend aussi lorsqu’elle prétend que reconnaître la légitimation passive de l’hébergeur de blogs met en péril les fournisseurs d’accès qui se verront désormais actionnés en dommages-intérêts ou en réparation du tort moral. […]

Pour le surplus, il n’appartient pas à la justice, mais au législateur, de réparer les “graves conséquences” pour internet et pour les hébergeurs de blogs auxquelles pourrait conduire l’application du droit actuel. […] Dans le cadre des actions défensives du droit de la personnalité, la recourante ne saurait se délier de sa responsabilité en accusant un tiers d’être aussi responsable.

Commentaire

La décision est effectivement problématique, mais elle est justifiée juridiquement. Tout d’abord, le texte de l’art. 28 al. 1 CC n’est pas ambigu et ne laisse que peu de place à l’interprétation. Comme le Tribunal fédéral l’a relevé, il n’est pas de sa responsabilité, mais de celle du Parlement fédéral de réparer les conséquences de la législation actuelle.

Ensuite, il ne fait pas de doute qu’on ne peut pas tolérer qu’un hébergeur reste passif une fois que son attention a été attirée sur un contenu illicite (portant atteinte à la personnalité, à un droit d’auteur, etc.). Mais là où la protection du droit de la personnalité va actuellement trop loin, c’est dans le cas où l’hébergeur n’est pas au courant du contenu illicite. Dans une telle situation, il resterait (secondairement) responsable alors même qu’il n’a pas commis de faute. En effet, on ne peut pas demander à un hébergeur ou à un fournisseur d’accès de respectivement surveiller les contenus des utilisateurs et filtrer les communications. Afin de se dédouaner, un moyen qu’aurait un hébergeur de blogs serait de contrôler a priori tous les contenus des auteurs de blog avant leur publication – mais dans ce cas, on pourra le considérer comme auteur de la publication ou, plus généralement, comme éditeur, et non plus comme un simple hébergeur.

Il serait opportun que la Suisse se dote de normes instaurant une limitation de responsabilité de principe, à l’instar des États-Unis et de l’Union européenne, en réservant les cas où le fournisseur de service était au courant (initialement ou postérieurement) de l’atteinte et n’a pas pris les mesures qu’on pouvait attendre de lui. Ainsi, la protection ne serait pas inconditionnelle, mais subordonnée au respect de certaines obligations, notamment à un devoir de diligence.