François Charlet

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Surveillance : quand le public n'a pas le droit de savoir

17/07/2013 5 Min. lecture Technologies François Charlet

Suite aux révélations sur le programme PRISM – qui continuent de pleuvoir, d’ailleurs – plusieurs associations ont tenté de comprendre le fonctionnement de la Cour qui applique la loi FISA (appelée FISC, pour Foreign Intelligence Surveillance Court). Évidemment, comme on vient chatouiller l’État et les services de renseignement, elles ont fait attention à ne pas demander de révéler quoi que ce soit touchant aux renseignements, aux cibles surveillées, ou aux opérations en cours. Elles ont seulement demandé à obtenir des extraits de jugements qui montrent comment la FISC applique et interprète la loi.

La réponse de la FISC (sur ordre exprès du Department of Justice) fut claire, et pas vraiment surprenante : le public n’a pas le droit de savoir comment et sur quoi la FISC rend ses décisions. Puisque les décisions de la FISC ont été secrètes jusqu’à maintenant, il n’y a aucune raison pour changer cet état de fait.

Selon la loi FISA et le FISA Amendments Act (FAA), les appels et e-mails des citoyens américains ne peuvent pas être intentionnellement pris pour cible puisque la loi FISA ne s’applique pas directement à eux, mais ils peuvent néanmoins être collectés. En principe, il faudrait un mandat ou une autorisation judiciaire afin de pouvoir prendre un citoyen américain pour cible. Voilà la théorie juridique.

En pratique, une communication nécessite deux personnes : un émetteur et un récepteur. Donc un Américain qui téléphonerait ou écrirait un e-mail à une personne de nationalité autre qu’américaine et vivant en dehors du territoire américain verra son appel et sa correspondance surveillée bien qu’on ne surveille que la communication et la correspondance de l’autre personne. Par conséquent, aucun mandat n’est nécessaire pour surveiller et enregistrer les communications entre un Américain et un étranger. Et il ne faut pas grand-chose pour que la NSA ne s’intéresse à quelqu’un puisque FISA autorise la surveillance de tout étranger dès que le gouvernement a un “motif raisonnable” pour l’ordonner et si cela constitue du “foreign intelligence”. Ces termes ont évidemment été interprétés avec une grande largesse. Et de toute façon, la NSA est autorisée à présumer qu’une personne n’est pas américaine si aucune information ne vient prouver le contraire. En outre, la NSA peut surveiller et collecter non seulement les données de (of) la cible étrangère, mais aussi des données la concernant (about), ce qui étend encore plus la possibilité de collecte.

Ces failles dans le système ont été exploitées, et on pourrait même croire qu’elles ont été créées intentionnellement par le Congrès. En effet, un responsable de la CIA avait déclaré devant le Congrès en 2006 que ce qui intéressait le plus les autorités était les appels et e-mails internationaux des Américains.

Pour en revenir à la décision de la FISC, elle a coïncidé avec un article paru dans le New York Times qui affirme que la FISC amplifie le pouvoir de la NSA. La FISC serait ainsi devenue, au fil du temps et de l’évolution de la loi, une Cour Suprême parallèle, jouant à l’arbitre ultime sur les questions de surveillance. Elle aurait ainsi étendu l’usage du principe juridique connu sous le nom “special needs doctrine” et, par ce biais, aurait instauré une exception au quatrième amendement de la Constitution américaine qui exige un mandat en cas de perquisition ou saisie. Quand on sait que cette doctrine a été instaurée en 1989 dans une affaire concernant la soumission (sans mandat) d’employés des chemins de fer à des tests de dépistage de drogues, imaginez le chemin parcouru pour arriver à la surveillance secrète, généralisée et sans mandat.

Par ailleurs, la FISC ne prend en compte les arguments que d’une partie : le gouvernement. Et les éléments fournis par celui-ci ne sont jamais rendus publics. Aucune décision de la FISC n’a été portée devant la Cour Suprême. On se demande en outre si les sociétés actives sur Internet ou dans les télécommunications (opérateurs, etc.) pourraient se présenter devant la FISC quand le gouvernement lui soumet une requête de surveillance qui toucherait des clients de la société. On sait en tout cas qu’aucune demande émanant des agences de renseignement n’a été rejetée par la FISC.

Commentaire

Je crois que tout le monde, ou presque, sera d’accord sur le fait que révéler les détails des surveillances ainsi que celles et ceux qu’elles ciblent pourrait créer un risque en matière de sécurité. Toutefois, dans une démocratie et dans un État de droit, au moins deux choses sont importantes : la publicité des lois, et la publicité des décisions des tribunaux interprétant ces lois. En aucun cas on ne devrait considérer que révéler les détails sur la manière dont sont rendues les décisions d’un tribunal, aussi unique soit-il, ainsi que sur la façon dont il interprète les lois adoptées par le Parlement, constitue un risque pour la sécurité nationale. Dévoiler comment la FISC interprète la loi FISA – et comment elle bafoue le quatrième amendement de la Constitution américaine – mettra certainement le Department of Justice dans l’embarras [euphémisme inside, ndr]. Il joue donc la carte de la malhonnêteté.

De nombreux politiciens américains, parmi lesquels on trouve des sénateurs, soutiennent mordicus le programme de surveillance de la NSA. Ils se cachent derrière le fait que la NSA ne collecte que des métadonnées, que le contenu des appels et e-mails n’est pas concerné, et qu’il n’y a donc pas de quoi s’alarmer. Croient-ils vraiment que ces métadonnées auraient été collectées si elles n’avaient pas le pouvoir de dessiner une image nette de chacun d’entre nous ? Un chercheur du MIT, Ethan Zuckerman, a mis au point un outil appelé Immersion et permettant de déterminer le “réseau social” d’une personne à partir des métadonnées d’un compte Gmail. Immersion dévoile le type de données auxquelles a accès la NSA. Et il y a de quoi s’alarmer.