Créer un lien hypertexte vers une œuvre sans l'autorisation de son auteur est en principe légal
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu ce matin un arrêt très attendu et important pour l’application du droit d’auteur sur Internet. Il est cependant surprenant que la Cour ait tranché l’affaire sans demander une opinion à un Avocat général de la Cour. La longueur de l’arrêt s’en ressent : 42 paragraphes “seulement”.
Cela étant dit, regardons ce que dit l’arrêt, dont la substance protège les ayants droit et ne remet pas en cause le fonctionnement d’Internet.
Les faits (un peu nébuleux)
L’affaire se déroule en Suède. D’un côté, nous avons des journalistes qui ont rédigé des articles de presse, publiés dans le journal Göteborgs-Posten et sur son site Internet. Les articles étaient librement accessibles sur le site du journal.
De l’autre, nous avons un site Internet exploité par Retriever Sverige qui fournit des liens vers des articles publiés par d’autres sites Internet.
Les journalistes affirment que si l’internaute clique sur l’un de ces liens, il n’est pas clair pour lui qu’il a quitté le site de Retriever Sverige pour se retrouver sur le site où se trouve le contenu recherché. Retriever Sverige soutient que c’est très clair pour l’internaute.
Les journalistes ont assigné Retriever Sverige devant le Stockholms Tingsrätt (Tribunal local de Stockholm) pour être indemnisés. Selon eux, Retriever Sverige aurait utilisé, sans leur autorisation, certains de leurs articles, en les mettant à la disposition sur son site. Le Stockholms tingsrätt a rejeté leur demande. Ils ont fait appel devant le Svea Hovrätt (Cour d’appel de Svea).
Les journalistes ont cette fois fait valoir que Retriever Sverige a porté atteinte à leur droit exclusif (de mettre leurs œuvres à la disposition du public). En effet, grâce à Retriever Sverige, ses clients auraient pu accéder à leurs œuvres.
Retriever Sverige soutient que la fourniture de liens vers des œuvres communiquées au public sur d’autres sites ne constitue pas une atteinte au droit d’auteur. Retriever Sverige affirme par ailleurs n’avoir effectué aucune transmission d’une œuvre, puisqu’il ne fait qu’indiquer à ses clients les sites sur lesquels les œuvres se trouvent.
Les questions posées à la CJUE
Le fait pour toute personne autre que le titulaire [du droit] d’auteur sur une œuvre de fournir un lien cliquable vers cette œuvre sur son site Internet constitue-t-il une communication de l’œuvre au public selon l’article 3, paragraphe 1, de la directive [2001/29] ?
L’examen de la première question est-il influencé par le fait que l’œuvre vers laquelle renvoie le lien se trouve sur un site Internet auquel chacun peut accéder sans restriction, ou que l’accès à ce site est, au contraire, limité d’une façon ou d’une autre ?
Convient-il, dans l’examen de la première question, de faire une distinction selon que l’œuvre, après que l’utilisateur a cliqué sur le lien, apparaît sur un autre site Internet ou, au contraire, en donnant l’impression qu’elle se trouve montrée sur le même site [Internet] ?
Un État membre peut-il protéger plus amplement le droit exclusif d’un auteur en prévoyant que la notion de communication au public comprend davantage d’opérations que celles qui découlent de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ?
La CJUE a groupé les trois premières questions, dont le but n’est que de chercher des éclaircissements quant à l’interprétation de l’art. 3, par. 1 de la directive 2001/29.
La réponse de la CJUE
Il faut d’abord rappeler que la communication au public est composée de deux éléments cumulatifs : il faut qu’un acte de communication d’œuvre intervienne, et cette communication doit viser un public.
Sur les trois premières questions, au vu des éléments factuels, la CJUE a estimé que
le fait de fournir, sur un site Internet, des liens cliquables vers des œuvres protégées publiées sans aucune restriction d’accès sur un autre site, offre aux utilisateurs du premier site un accès direct auxdites œuvres.
Cependant, comme les articles étaient déjà librement accessibles au public avant que Retriever Sverige ne les liste sur son site,
il doit être constaté que la mise à disposition des œuvres concernées au moyen d’un lien cliquable […] ne conduit pas à communiquer les œuvres en question à un public nouveau. […] le public ciblé par la communication initiale était l’ensemble des visiteurs potentiels du site concerné, car, sachant que l’accès aux œuvres sur ce site n’était soumis à aucune mesure restrictive, tous les internautes pouvaient donc y avoir accès librement.
Ainsi, la communication d’une œuvre au public signifie que le public doit être “nouveau” et ne pas avoir été touché par la mise à disposition originale (par les auteurs ou ayants droit).
Cette argumentation ne peut pas être remise en cause. Il en irait évidemment autrement si les liens fournis permettaient de contourner une éventuelle protection – sur le site où sont mise à disposition les œuvres – pour en limiter l’accès aux seuls utilisateurs enregistrés ou ayant souscrit un abonnement payant. Dans ce cas, il faudrait considérer les utilisateurs du site comme un public nouveau non pris en compte par les auteurs des œuvres, et par conséquent qualifier ces listes de liens comme “communication à un public”.
Dès lors, faute de public nouveau, l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ne s’impose pas à une communication au public telle que celle au principal.
[…] ne constitue pas un acte de communication au public […] la fourniture sur un site Internet de liens cliquables vers des œuvres librement disponibles sur un autre site Internet.
Commentaire
Cette décision ne doit pas être interprétée comme autorisant, dans n’importe quelle situation, la création de liens hypertextes vers une œuvre sans l’autorisation de son ayant droit.
Il faut bien comprendre que le fait de fournir des liens cliquables vers des œuvres protégées constitue une mise à disposition au sens du droit d’auteur, et donc un “acte de communication” au sens de la directive 2011/29. La CJUE a explicitement reconnu que la création de liens hypertextes vers son œuvre constitue un droit exclusif de l’auteur.
Cependant, si l’ayant droit a déjà mis son œuvre à disposition d’un public sur Internet, il faudra qu’un tiers la mette à disposition d’un public nouveau sans l’autorisation de l’ayant droit pour qu’il y ait atteinte au droit exclusif.
En d’autres termes, si tout un chacun peut librement accéder à l’œuvre mise à disposition par l’ayant droit, il n’est pas requis d’obtenir l’autorisation de l’ayant droit pour créer un lien vers l’œuvre. Et ce même si l’internaute qui clique sur le lien pense que l’œuvre apparait sur le site contenant le lien.
Ce jugement ne constitue pas une surprise et semble plutôt simple à trancher (d’où l’absence de l’opinion d’un avocat général ?) mais revêt une certaine importance pour l’application du droit d’auteur sur Internet.