Food porn et droit d'auteur : pouvez-vous photographier votre assiette au restaurant ?
La nouvelle mode (en anglais, trend) des internautes et utilisateurs de réseaux sociaux consiste à photographier son assiette pour en partager l’appétissant aspect avec ses amis. Ou c’est pour la frime. Ou pour les deux. Il n’en reste pas moins que si des chefs apprécient ce trend, d’autres estiment que cela constitue une violation de leur droit d’auteur.
Au-delà du fait que cela puisse les énerver puisqu’ils passent des heures en cuisine à confectionner des plats que leurs clients passent plus de temps à prendre en photo qu’à savourer, peut-on considérer l’assiette qui vous est servie comme une œuvre protégée par le droit d’auteur ? Ou est-ce la recette qui est protégée ?
Le droit d’auteur réclame que plusieurs conditions soient remplies pour qu’on puisse considérer une création culinaire comme protégée par le droit d’auteur.
- L’œuvre est une création de l’esprit, c’est-à-dire un expression de la pensée humaine.
- L’œuvre est une création littéraire ou artistique.
- L’œuvre présente un caractère individuel, c’est-à-dire qu’elle se distingue de ce qui était connu jusque-là, même si le degré de nouveauté peut être faible.
Le problème d’une recette, face au droit d’auteur, est qu’elle n’est généralement qu’une liste d’ingrédients et d’étapes. En d’autres termes, une recette est une marche à suivre, un processus de fabrication, une formule. De plus, une recette n’est pas un produit fini, ce n’est pas une création qui révèle la personnalité de l’auteur. De fait, elle ne peut être protégée.
C’est un coup dur pour les chefs qui voient leurs recettes être réduites à une simple liste de tâches. De plus, le résultat de la recette n’est jamais complètement identique. Cela étant, si une recette est autre chose qu’une liste de produits et d’étapes de préparation, il n’est pas impossible que le droit d’auteur entre en jeu. Par exemple, le style et le vocabulaire utilisés pour la recette pourraient lui permettre d’être protégée, en particulier si l’auteur y ajoute des éléments ou anecdotes personnels.
Qu’en est-il de la “mise en forme” de la recette, autrement dit, son exécution ? La présentation et l’expression d’une recette constituent-elles une œuvre protégée ? On n’est pas sûr. Ce qui est certain, c’est que ce serait le cuisinier, et non l’auteur de la recette, qui pourrait revendiquer une protection sur sa création. La création culinaire pourrait éventuellement être considérée comme une création de l’esprit, à caractère artistique et qui présente un caractère individuel. Une pizza Margherita aurait un peu de peine à répondre à cette condition.
Il faut ici ouvrir une petite parenthèse sur l’art culinaire. Créer ou inventer une recette revient à faire quelque chose qui n’a encore jamais été fait. En matière culinaire, la preuve de l’existence d’une recette antérieure est très compliquée à apporter. En effet, retracer l’origine d’un plat (remonter au “chef créateur”) s’apparente à une mission impossible. La cuisine est sujette aux tendances culinaires et aux déclinaisons de plats, et s’il fallait appliquer un droit d’auteur aux créations culinaires, où en serait la création aujourd’hui ? Si les cuisiniers se surpassent pour nous éblouir, c’est non seulement parce qu’ils sont doués, mais aussi parce qu’il n’existe aucune entrave (juridique) à leur créativité.
Pour en revenir à la question du “food porn”, un restaurateur a le droit de refuser de servir un client, de lui refuser l’accès à son restaurant ou de lui demander de s’en aller. Un restaurateur a également le droit d’apposer une notice sur la porte d’entrée de son établissement vous interdisant de prendre des photos des plats. Par contre, il est beaucoup moins certain qu’il puisse vous poursuivre pour violation du droit d’auteur si vous le faites quand même. Quoi qu’il en soit, il n’est pas vraiment dans son intérêt de poser ce genre de restrictions. Les dommages en terme de réputation et d’image pourraient être douloureux. Le droit n’est pas du côté des cuisiniers.
Et un brevet ?
Il serait théoriquement possible de protéger une “invention culinaire” par un brevet. Encore faudrait-il qu’il s’agisse véritablement d’une invention, ce qui sera très compliqué au vu du caractère même de l’art culinaire, qui repose en partie sur les variations, les déclinaisons, les assemblages et … la copie. De plus, une recette constitue-t-elle une solution à un problème concret ? C’est difficilement concevable. On ne devrait pas pouvoir breveter une recette, mais seulement son résultat.
Ensuite, en supposant qu’une recette soit brevetable, deux écueils pratiques surgissent : un cuisinier est-il prêt à dépenser des milliers de francs pour protéger son “invention” et bénéficier d’un unique droit, celui d’interdire à des tiers d’exploiter son “invention”, droit qui lui coûtera encore plus s’il doit intenter des actions en justice ?