François Charlet

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La redevance sur la copie privée a encore de beaux jours devant elle en Suisse

09/04/2014 5 Min. lecture Droit François Charlet

Le 5 mars 2013, M. Christian Wasserfallen (Conseiller national PLR) avait déposé une initiative parlementaire qui visait à supprimer la taxe sur la copie privée. Aujourd’hui, la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national a rejeté cette initiative par 21 voix contre 0 et 4 abstentions. Cependant, elle a décidé à l’unanimité de déposer une motion de commission visant à charger le Conseil fédéral de trouver des mesures alternatives à cette taxe.

L’article 20 alinéa 3 LDA demande à ce qu’une contribution financière soit prélevée sur chaque support numérique vierge (CD, DVD, lecteurs MP3, etc.) afin de reverser une rémunération aux auteurs. Cela s’est traduit par une taxe, imposée de manière proportionnelle aux capacités de stockage de chaque appareil concerné. Avec l’évolution technologique, les appareils possèdent de plus en plus de capacités de stockage, taxant d’autant plus les individus. Les taxes augmentent, mais pas l’utilisation effective : les citoyens sont taxés sur un potentiel virtuel bien supérieur aux possibilités réelles de profiter de leurs appareils.

De plus, la taxe sur les supports vierges pénalise injustement les utilisateurs. D’un côté, elle s’applique à tous les utilisateurs, sans lien entre l’application de la redevance et l’usage de l’appareil. D’un autre côté, les citoyens paient plusieurs fois la même taxe. Pour un même morceau de musique acheté sur Internet, un citoyen aura payé sa taxe sur les droits d’auteur au moment de l’achat proprement dit, mais également à l’achat de chaque support matériel qu’il possède. Ponctionner plusieurs fois la même taxe est aussi inédit qu’inacceptable. Pire encore, la taxe est prélevée même si l’appareil sert à un autre usage.

Voici une partie du texte de l’initiative parlementaire de M. Wasserfallen. Le but était clair : supprimer la redevance pour la copie privée.

Mais les sociétés de gestion ne l’entendaient évidemment pas de cette oreille et avaient publié hier un communiqué de presse. Elles mettaient en avant le fait que

la redevance est une condition pour la possibilité de réaliser des copies privées d’œuvres protégées.

En d’autres termes, sans redevance, on ne pourrait pas légalement faire une copie d’un disque, d’un DVD, d’une chanson, etc. pour son usage privé. De plus, cela signifierait que le téléchargement “illégal” le deviendrait vraiment. Et c’est sans compter sur une perte financière conséquente.

Pour les ayants droit des divers répertoires, la suppression aurait des conséquences dévastatrices : cela pourrait impliquer pour eux un manque à gagner de près de 12 millions de francs chaque année. En outre, le montant alloué à la prévoyance sociale et à la promotion de la culture diminuerait de 1,3 millions de francs par an.

On se rappelle d’ailleurs que le groupe de travail AGUR12 avait déclaré dans son rapport que

Le système de redevance sur les supports vierges (art. 20, al. 3, LDA) est toujours opportun à l’heure du numérique. En effet, il permet une rémunération des ayants droit de manière simple, par l’intermédiaire des sociétés de gestion collective, tout en évitant une criminalisation des consommateurs.

(Section 9.4.3 du rapport)

L’AGUR12 reconnaissait cependant que

ce système est mal compris de la population et souvent critiqué. L’une des raisons est le problème dit du “double paiement”.

Comme le relève Hans Läubli, Directeur de Suisseculture,

La redevance sur les supports vierges est le résultat d’un important compromis. Les consommateurs et les utilisateurs ont le droit de copier pour un usage privé des œuvres protégées par le droit d’auteur ; en contrepartie, les auteurs obtiennent une redevance. L’acceptation de l’initiative parlementaire signifierait la fin de cette pratique qui a fait ses preuves et qui est libérale, cela sans qu’une solution de rechange ne soit proposée.

Heureusement pour les ayants droit, l’initiative parlementaire a donc été rejetée par la Commission du Conseil national. Dans son communiqué, elle déclare :

Par 21 voix contre 0 et 4 abstentions, la commission propose de ne pas donner suite à l’initiative parlementaire. En revanche, elle a décidé à l’unanimité de déposer une motion de commission qui charge le Conseil fédéral de présenter au Parlement des mesures alternatives à la perception de l’actuelle redevance sur les supports vierges, de façon à tenir compte de l’évolution des moyens électroniques qui permettent de contourner facilement l’obligation légale. La révision légale demandée s’inspirera des conclusions du groupe de travail AGUR 12, contenues dans le rapport final du 28 novembre 2013. Elle veillera à ne pas obérer les finances de la Confédération et à maintenir le soutien financier dont les milieux culturels ont besoin.

On le voit, la motion est très large et donne beaucoup de marge de manœuvre au Conseil fédéral. Elle semble toutefois pencher du côté des ayants droit et on pourrait presque voir poindre une envie répressive (fin du passage mis en évidence).

Dans tous les cas, en supposant que les choses se passent bien et vite au Parlement, la motion pourrait être acceptée cette année encore par les deux Chambres du Parlement, ce qui lancerait la procédure pour le Conseil fédéral, qui devrait répondre à cette motion dans les deux ans. S’en suivrait ensuite, le cas échéant, une procédure législative visant à modifier la loi sur le droit d’auteur. Dans le meilleur des cas, on peut tabler sur un projet de loi un peu avant 2020.

Ce n’est donc pas demain que la licence globale ou un système similaire sera adopté en Suisse.