Droit d'auteur UK et CH, et le futur des consommateurs
Deux nouvelles intéressantes ont paru la semaine passée. L’une concerne une (nouvelle) extension du droit d’auteur en Grande-Bretagne, l’autre touche directement à l’évolution de la loi suisse sur le droit d’auteur (LDA). Dans les deux cas, il y a des inquiétudes à avoir.
Extension au Royaume-Uni
Le Royaume-Uni a fait très fort en supprimant une exception au droit d’auteur : celle qui permet à tout un chacun de faire une copie de ses morceaux de musique, de ses films, etc. pour son usage personnel.
Oui, vous avez bien lu. Depuis quelques semaines, les citoyens britanniques sont dans l’illégalité la plus totale lorsqu’ils font une copie d’une chanson qu’ils ont légalement achetée (sur CD, sur iTunes, etc.) vers leur smartphone, leur tablette, ou simplement vers leur périphérique de sauvegarde. Certes, la probabilité que l’État poursuive la quasi-totalité de sa population est infiniment faible. Mais il est encore plus improbable que les citoyens britanniques achètent une deuxième fois en streaming/download des morceaux de musique qu’ils possèdent déjà en CD au lieu de les importer.
Il y a quelques jours, le Royaume-Uni a rempilé dans l’absurdité en avançant l’entrée en vigueur d’une modification de sa loi sur le droit d’auteur dans le but d’obliger les citoyens britanniques – poor guys – à obtenir une licence lorsqu’ils font une photographie d’une œuvre, comme un objet protégé par design.
Oui, vous avez bien lu. Le Royaume-Uni veut interdire à sa population de prendre en photo des objets que vous possédez si leur design a été protégé. Dans le détail, la modification législative va étendre la protection des représentations en 2D d’objets en 3D de 25 ans actuellement à 70 ans. Cela signifiera que des images tombées dans le domaine public et représentant des objets physiques vont sortir du domaine public et engendrer des coûts pour celles et ceux qui les utilisent.
En droit britannique, celui qui détient le droit d’auteur sur l’objet physique détient également les droits sur les représentations de cet objet. Là où le bât blesse, c’est que, de nos jours, à l’heure d’Instagram et Snapchat, tout le monde fait prend en photo tout et n’importe quoi, sans se soucier de savoir si tel ou tel objet est protégé. (Et je ne parle même pas du droit à l’image des individus…) Donc, le changement induit par la future loi va à nouveau faire passer la quasi-totalité de la population pour des délinquants, car plus personne ne pourra prendre en photo sa chaise de jardin et poster l’image sur Internet si la chaise de jardin est protégée par un design.
Je me demande… Quel est le montant des droits que paiera Amazon UK pour afficher la couverture des livres qu’il vend ? Et ceux de tous les autres objets ?
Nous avons là deux exemples supplémentaires qui prouvent que les ayants droit (britanniques en tout cas) n’ont que faire des consommateurs modernes de culture pour lesquels ils affichent un mépris certain. Le droit d’auteur n’est vraiment pas fait pour l’âge numérique.
Et en Suisse ?
L’année passée, je vous donnais rendez-vous en 2015 pour savoir ce qu’il allait se passer concernant la révision de la loi sur le droit d’auteur. La procédure de consultation a été lancée et voici deux modifications proposées concernant spécialement le domaine numérique.
La redevance pour la copie privée va être adaptée à la baisse (art. 19 al. 3bis nouveau LDA) afin de prendre en compte le téléchargement légal d’œuvres et leur utilisation sur plusieurs appareils soumis à la redevance.
Afin d’éviter que les copies privées réalisées à partir d’œuvres achetées sur des plateformes en ligne ne fassent l’objet d’un paiement contractuel et d’une rémunération liée à une licence légale soumise à la gestion collective, le projet propose de restreindre la rémunération visée à l’art. 20, al. 3, aux cas où les copies privées ne font pas partie du service offert aux internautes par la plateforme.
Un nouveau chapitre sera ajouté sur les obligations des fournisseurs de services de télécommunication et des fournisseurs de services de communication dérivés. En 2012, à la fin de mes études, dans mon mémoire de Master (p. 25 à 27), je préconisais l’instauration en Suisse de règles spécifiques à la responsabilité des intermédiaires. La Suisse en prend la direction,
Le fournisseur de services de communication dérivés, sur le serveur ou la plateforme duquel a été stocké du contenu portant atteinte au droit d’auteur, est plus proche des contenus que le fournisseur de services de télécommunication. Il est dès lors mieux placé pour lutter contre les violations du droit d’auteur. L’obligation qui lui est faite de retirer sans délai les contenus portant atteinte au droit d’auteur faisant l’objet d’une communication ou de bloquer son accès s’inspire de l’art. 14, al. 1, let. b, de la Directive sur le commerce électronique. L’obligation supplémentaire de veiller à ce que les œuvres concernées ne soient pas immédiatement réintroduites (ce qu’on appelle le stay down) reprend la recommandation d’AGUR12 […].
Les fournisseurs de services de communication dérivés ayant siège en Suisse peuvent se libérer de l’obligation du stay down en s’affiliant à un organisme d’autorégulation, qui doit également avoir son siège en Suisse, et en s’engageant à ce que leur modèle commercial ne repose pas sur l’encouragement de violations systématiques du droit d’auteur (art. 66c). Dans les faits, l’affiliation à un organisme d’autorégulation devrait devenir la règle. […]
Lorsque le fournisseur de services de communication dérivés a son siège à l’étranger ou le dissimule, un deuxième niveau d’intervention est prévu à l’art. 66d : il impose aux fournisseurs de services de télécommunication (fournisseurs d’accès) ayant siège en Suisse de bloquer, dans certains cas, l’accès aux offres. Étant moins proches des contenus, ces derniers sont appelés à coopérer dans la lutte contre le piratage dans un second temps.
Le blocage de l’accès aux offres doit être proportionné au cas d’espèce, autrement dit, approprié, nécessaire et adéquat en vue d’atteindre l’objectif visé (lutte contre le piratage). Sont donc ciblés les sites Internet qui hébergent principalement des offres pirates. Si une page Web ne rend accessibles de manière illicite que quelques œuvres et autres objets protégés parmi de nombreux contenus licites, son blocage ne serait pas proportionné.
Si la première mesure pour éviter au consommateur de payer la redevance à double est louable, je suis sceptique quant aux mesures voulues par le Conseil fédéral en matière de lutte contre le piratage.
Les procédures dites de takedown représentent à mon avis un équilibre entre la protection des droits des auteurs et ceux des consommateurs. Il me semble donc opportun que ces moyens soient adoptés et transposés en Suisse dès lors qu’ils évitent (en principe) de criminaliser les consommateurs tout en faisant respecter les droits des auteurs en mettant les intermédiaires techniques à contribution. Ces derniers ne sont censés retirer des contenus illégalement reproduits et/ou distribués que dès le moment où ils en ont connaissance, soit, en général, quand l’ayant droit les en informe.
Le Conseil fédéral le relève à juste titre, c’est lorsque l’intermédiaire (un hébergeur) se trouve à l’étranger qu’il est compliqué, voire impossible, d’exiger le retrait d’œuvres contrefaites, puisque le droit suisse n’est pas applicable. Mais la mesure voulue par notre gouvernement menace un autre droit, celui de la liberté d’expression et d’information. En effet, le Conseil fédéral préconise la collaboration des fournisseurs d’accès à Internet afin qu’ils bloquent les contenus, par exemple en verrouillant l’adresse IP du serveur sur lequel ils sont mis à disposition, ou en bloquant la ressource au niveau du DNS.
Si le blocage de l’accès à un contenu illégal trouve certainement l’approbation de tout le monde, il faut faire attention à ne pas bloquer des contenus licites, lesquels deviendraient donc des “victimes” collatérales de la protection des droits d’auteur.
Inacceptable, l’overblocking cause un dommage collatéral dans la mesure où les contenus licites sont bloqués parallèlement aux contenus illicites, ce qui induit une atteinte à la liberté d’opinion (art. 10 CEDH). […] Les blocages de l’accès aux offres doivent être ordonnés avec réserve et en dernier recours, car les moyens de les neutraliser sont susceptibles de compromettre la stabilité d’Internet.
Le projet prévoit heureusement que le blocage n’interviendra qu’en dernier recours. Cependant, il reste aisé à mettre en œuvre et je ne serais pas surpris que l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI) – car c’est à lui que reviendrait la tâche d’ordonner le blocage – fasse du zèle et se facilite la tâche en ordonnant des blocages à tout-va, sans procéder à une soigneuse pesée des intérêts lorsque les ayants droit signaleront les sites litigieux.
La décision de blocage sera néanmoins publiée dans la Feuille fédérale et les fournisseurs d’accès, entre autres, auront la possibilité de s’opposer à cette décision. Les citoyens n’auront pas ce droit, par contre. Ils seront cependant informés par une notice s’ils essaient d’accéder à un site bloqué qui leur explique le site en question a été bloqué par les autorités (art. 66f nouveau LDA).
Quant aux internautes qui portent “gravement” atteinte aux droits d’auteur, si leur adresse IP permet de les identifier, l’ayant droit pourra demander aux fournisseurs d’accès qu’ils fassent parvenir un message à l’internaute indélicat pour l’informer des faits constatés, de la situation juridique et des conséquences du non-respect, ainsi que des possibilités dont il dispose (art. 66g nouveau LDA).
Lorsque l’usager est le contrevenant, il peut modifier son comportement et éviter la communication de son identité au titulaire de droits ainsi que l’action civile. Si l’usager n’est pas le contrevenant, il lui faudra vérifier que sa connexion est sécurisée contre l’utilisation par des tiers et s’assurer que les tiers qui utilisent la connexion avec son accord (p.ex. des membres de la famille) ne se rendent pas fautifs. Il obtient à cet effet un délai de deux mois (cf. al. 2). Si durant cette période le fournisseur de services de télécommunication reçoit d’autres communications concernant le même usager, il n’entame aucune action supplémentaire.
Au bout des deux mois, si l’internaute n’a pas mis un terme à ses graves agissements, un deuxième message sera envoyé par le fournisseur d’accès, au format postal. Si l’internaute ne cesse toujours pas, le fournisseur d’accès annoncera à l’ayant droit qu’il peut désormais s’adresser aux tribunaux pour qu’ils ordonnent la levée du secret des télécommunications.
On ne se retrouve pas avec un système similaire à la France (cf. HADOPI), car l’identité de l’internaute est révélée dans le cadre d’une procédure civile et uniquement après l’envoi de deux messages d’information. À l’inverse des systèmes français et américains notamment, le projet suisse ne prévoit ni mesure pénale ni mesure de sensibilisation. Il reviendra à l’ayant droit d’agir en justice pour faire valoir ses droits, une fois l’internaute identifié.
L’alternative à l’identification des usagers dans le cadre d’une procédure civile serait de mener la procédure pénale correspondante de façon conséquente. Mais cela signifierait qu’une partie de la population devrait tolérer des perquisitions policières et la saisie d’ordinateurs et de mémoires d’ordinateurs pour assurer la conservation des preuves. Cette approche constituerait, au final, une mesure autrement plus incisive pour les internautes. Elle aurait en outre pour conséquence de considérablement surcharger les autorités de poursuite pénale. Cette solution n’est dès lors pas viable.
De mon point de vue, c’est un système qui a le mérite, à nouveau, de permettre aux droits des auteurs d’être respectés tout en préservant ceux des internautes. Les fournisseurs d’accès ne vont sans doute pas être très contents de cette charge supplémentaire de travail – que l’État a sciemment décidé de mettre sur leurs épaules.