Formulaires ESTA pour entrer aux USA : si vous avez un casier judiciaire, que faire ?
Suite à une suggestion d’un lecteur, j’ai décidé de me pencher sur les demandes ESTA pour être autorisé à voyager aux États-Unis sans avoir besoin de demander un visa. Quelles données sont collectées, à quelles données ont accès les États-Unis, le casier judiciaire est-il transmis aux autorités américaines, etc. ?
ESTA, c’est quoi ?
ESTA signifie Electronic System for Travel Authorization, soit Système Électronique d’Autorisation de Voyage. En raison d’un accroissement des mesures de sécurité, depuis 2009, ESTA permet de vérifier préalablement les voyageurs avant de leur accorder le droit d’entrer aux États-Unis. Ce système n’est disponible qu’aux voyageurs de certaines nationalités qui n’ont pas besoin de visa pour entrer aux États-Unis et qui n’y restent pas plus de 90 jours.
Tout le processus est effectué en ligne et géré par le Department of Homeland Security. Au cas où la demande ESTA est refusée, le voyageur doit solliciter un visa B-1 (séjours d’affaires) ou un visa B-2 (séjours touristiques).
Il est à noter qu’en cas de refus d’autorisation, vous n’avez aucun droit de recours, car vous y renoncez expressément durant la procédure de demande.
Pourquoi toutes ces questions ?
Parce que, comme vous ne laissez pas entrer n’importe qui chez vous, les États-Unis ont le droit, comme n’importe quel autre pays, de décider qui pénètre sur son territoire. Pour ce faire, ils ont le droit d’en savoir un peu plus à votre sujet.
Les États-Unis rappellent que mentir est une très mauvaise idée.
Toutes les informations fournies par vous ou en votre nom par un tiers désigné doivent être sincères et exactes. […] Vous devenez passible de poursuites administratives ou pénales dès lors que vous faites sciemment et délibérément une déclaration substantiellement fausse, fictive ou frauduleuse dans une demande d’autorisation de voyage électronique soumise par vous ou en votre nom.
Quelles données sont collectées ?
Toutes les données que vous fournissez pour obtenir l’autorisation ESTA sont évidemment collectées, ainsi que le numéro de carte de crédit (obligatoire pour payer les frais, selon le Travel Promotion Act (TPA) de 2009). Quelques données techniques concernant votre ordinateur sont aussi collectées lorsque vous utilisez le site officiel du gouvernement américain pour votre demande ESTA.
Les informations enregistrées dans le système ESTA peuvent être utilisées si nécessaire par d’autres services du Department of Homeland Security.
Pourquoi ces questions sur mon passé criminel ?
Parce que c’est la loi. L’Immigration and Nationality Act prévoit une série d’exceptions relativement aux personnes qui ne peuvent pas être admises sur territoire américain.
Généralités
Ces exceptions correspondent précisément aux questions qui sont posées. Hormis la question sur votre santé – êtes-vous atteint de troubles physiques ou mentaux, consommateur de drogues ou toxicomane, ou actuellement atteint d’une des maladies transmissibles importantes pour la santé publique : chancre, blennorragie, granulome inguinal, lèpre infectieuse, lymphogranulomatose vénérienne, syphilis infectieuse, tuberculose active –, le gouvernement demande aussi des renseignements sur votre passé criminel.
Avez-vous déjà été arrêté ou condamné pour un délit qui a entraîné de graves dommages matériels, une blessure grave à une personne ou des dommages graves à un organisme de gouvernement ?
Avez-vous jamais violé une loi liée à la possession, l’utilisation ou la distribution de drogues illicites ?
Tout d’abord, il convient ici de noter que les notions de délit et de crime selon le droit suisse sont totalement inapplicables (cf. article 10 du Code pénal suisse. Sont des crimes les infractions passibles d’une peine privative de liberté de plus de trois ans. Sont des délits les infractions passibles d’une peine privative de liberté n’excédant pas trois ans ou d’une peine pécuniaire).
Pour les autorités américaines, ces infractions impliquent généralement une “turpitude morale”, autrement dit une conduite fondamentalement abjecte, ignoble, voire dépravée et contraire aux règles reconnues de la morale et aux obligations envers les personnes ou la société en général.
Des condamnations légères ou pour d’autres infractions ne devraient donc pas entrer en considération ici.
Exceptions
Certains facteurs tels que l’âge de l’auteur ou le moment de commission de l’infraction peuvent éventuellement avoir une incidence sur la décision de considérer une infraction comme un crime réprouvé par la morale selon l’Immigration and Nationality Act.
En effet, selon l’Immigration and Nationality Act, § 1182 (a) (2) (ii), si l’infraction a été commise quand le voyageur avait moins de 18 ans et qu’il s’est écoulé plus de 5 ans entre la date de commission de l’infraction et la demande ESTA, on peut répondre négativement à ces questions.
Par ailleurs, si la peine maximale de l’infraction (selon la loi nationale) à laquelle le voyageur aurait pu être condamné n’excède pas un emprisonnement d’une année, et si le voyageur a été condamné à un emprisonnement de 6 mois au maximum, il peut répondre négativement à ces questions.
Inadmissibilité totale (résumé)
Vous n’est pas autorisé à rentrer sur le territoire américain notamment
si vous avez été condamné pour deux infractions au moins, que cela provienne d’un jugement unique ou de plusieurs, et que cela implique une conduite ignoble de votre part ;
si vous avez été engagé dans la prostitution dans les 10 ans précédant votre demande ESTA ;
si vous avez déjà commis un crime aux États-Unis pour lequel vous avez exercé votre immunité et que suite à cela vous avez quitté le territoire américain pour vous soustraire à la justice ;
si vous avez commis des actes de blanchiment d’argent, ou été complice de ces actes.
D’autres dispositions existent, raison pour laquelle il est conseillé de consulter la loi avant de remplir un formulaire ESTA ou de demander un visa, si vous avez quelque chose à vous reprocher ou que votre passé est un peu trouble.
Si vous vous engagez dans des activités terroristes
Quant à cette question,
Cherchez-vous à vous engager, ou vous êtes-vous jamais engagé(e) dans des activités terroristes, d’espionnage, de sabotage, ou de génocide ?
il va sans dire qu’y répondre positivement revient non seulement à vous interdire l’entrée aux États-Unis, mais aussi à provoquer chez les services de renseignements américains un gain d’intérêt massif. Mais vous vous en doutiez déjà, n’est-ce pas ?
Les USA accèdent-ils à mon casier judiciaire ?
Comme expliqué auparavant, mentir n’est pas une bonne idée. Si les Américains en savent certainement déjà beaucoup sur vous (merci les services de renseignements), ils ont potentiellement accès à votre casier judiciaire.
Le Code pénal suisse prévoit certains principes relativement au casier judiciaire (art. 365 et suivants).
Seules nos autorités peuvent consulter ces données en ligne, ainsi que les autorités cantonales et le Service de renseignement de la Confédération (art. 21 de l’Ordonnance sur le casier judiciaire). Les autorités suisses non raccordées au casier judiciaire en ligne peuvent demander des extraits (art. 22).
L’art. 23 de l’ordonnance prévoit ceci :
Des extraits du casier judiciaire sont délivrés, sur demande, aux autorités étrangères par l’OFJ lorsqu’une convention internationale, un traité international ou une loi formelle le prévoit ou que l’État requérant accorde la réciprocité.
À ma connaissance, il n’y a pas de convention internationale en la matière avec les États-Unis, ni un traité international ou une loi formelle.
Il faut cependant savoir qu’un projet de loi (formelle) sur le casier judiciaire est en préparation et a déjà été soumis aux Chambres fédérales. En effet, l’ordonnance actuelle ne répond plus aux besoins des autorités notamment en raison de la protection des données, dont l’importance grandit, et du développement de la justice pénale.
Le rapport explicatif de cette future loi expose ceci (p. 23) :
Pour ce qui est de l’échange international de données pénales, il existe des dispositions de traités internationaux prévoyant la communication en vue de procédures pénales et la communication de données à l’État d’origine.
Cependant, il n’existe pas de base juridique permettant de fournir des données à des autorités étrangères n’appartenant pas à la justice pénale. Ce serait pourtant utile dans les cas où l’autorité étrangère accomplit les mêmes tâches qu’une autorité suisse raccordée. Une autorité étrangère de protection de l’enfant qui doit décider de la nomination d’un tuteur ou d’un curateur n’obtiendra pas sur une personne ayant vécu en Suisse les mêmes renseignements que l’autorité suisse équivalente. Même chose pour les polices des étrangers. Ces autorités peuvent seulement demander un extrait destiné aux particuliers.
Pour pallier ce problème, il faudrait créer une disposition dans laquelle on exigerait la réciprocité et un niveau équivalent de protection des données à l’étranger, mais son application se heurterait à de grandes difficultés. Rien que l’examen de la conformité des buts du traitement aux finalités autorisées en Suisse demanderait beaucoup de travail et ne serait guère faisable sans une étude de droit comparé. Il est donc plus sage de ne pas modifier la règlementation actuelle.
Les autorités douanières américaines ne devraient donc a priori pas avoir accès au casier judiciaire, et ne devraient pas l’avoir à court et moyen terme.
Enfin, il faut savoir que si vous avez commis des infractions pénales lorsque vous étiez mineur, celles-ci ne se trouvent plus nécessairement au casier judiciaire lorsque vous êtes devenu majeur (art. 366 al. 3 et 3bis CP ; art. 371 al. 2 CP).
Conclusion
Le Department of Homeland Security ne devrait apparemment pas pouvoir demander un extrait de casier judiciaire pour vérifier si vous dites la vérité. Cela ne devrait également pas être le cas dans un futur relativement proche. Quant aux données collectées, elles se limitent à ce que fournissez, et au PNR (Passenger Name Record) qui contient toutes vos informations de vol, si vous allez aux États-Unis en avion.
Le gouvernement américain peut donc vous refuser l’accès à son territoire, à discrétion, sans que vous puissiez recourir. Le fait de répondre “oui” à l’une des questions posées va fortement prétériter les chances d’obtenir une autorisation. Dans le doute, mieux vaut se renseigner, ou lire la loi qui liste les cas d’exclusions si votre casier judiciaire n’est pas vierge.