François Charlet

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Victoire magistrale : une Cour d'appel américaine déclare illégales les écoutes de la NSA

08/05/2015 6 Min. lecture Droit François Charlet

C’est un roc ! C’est un pic ! C’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ? C’est une péninsule ! Ou tout simplement, c’est énorme. Voilà comment l’on peut qualifier la décision rendue hier par la Cour d’appel du Deuxième Circuit aux États-Unis. Les écoutes massives des appels téléphoniques et la collecte des métadonnées y relatives par la NSA sont illégales selon le droit fédéral américain !

Et ce jugement intervient au moment où les autorités américaines débattent du renouvellement de la section 215 du Patriot Act, car elle expire en juin 2015. Certes, il ne tranche pas la question de la constitutionnalité du programme d’écoute, mais la Cour d’appel déclare clairement que la section 215 n’autorise pas la collecte massive de données (quelles qu’elles soient).

We hold that the text of § 215 cannot bear the weight the government asks us to assign to it, and that it does not authorize the telephone metadata program. [p.82]

Résumé

Ce jugement renverse une décision d’une cour de district qui avait déclaré irrecevable en 2013 la remise en question du point de vue constitutionnel de la collecte massive des données par la NSA. Cette action avait été introduite par l’ACLU, l’American Civil Liberties Union, à l’encontre de l’Office of the Director of National Intelligence. La Cour d’appel casse donc la décision de la cour de district et lui renvoie l’affaire pour nouvelle décision. La constitutionnalité de la collecte de données n’a pas été tranchée par la Cour d’appel, mais il est à supposer que cette question devra être analysée par la Cour de district.

Quoi qu’il en soit, la Cour d’appel a clairement dit que la section 215 n’autorise pas le gouvernement à collecter massivement des données relatives aux appels téléphoniques. Elle contredit donc directement la NSA et le gouvernement qui affirmaient bien évidemment le contraire.

Ce jugement ne met pas immédiatement un coup d’arrêt à cette collecte, mais s’il n’est pas renversé par une juridiction supérieure, cela pourrait envoyer un signal fort pour l’arrêt de ce programme de surveillance. D’ailleurs, au vu de la proximité calendaire avec le vote du Congrès sur le renouvellement de la section 215, cela pourrait forcer celui-ci à clairement préciser que la collecte massive de données est (ou non) autorisée. C’est d’ailleurs ce que précise la Cour d’appel.

We do so comfortably in the full understanding that if Congress chooses to authorize such a far‐reaching and unprecedented program, it has every opportunity to do so, and to do so unambiguously. Until such time as it does so, however, we decline to deviate from widely accepted interpretations of well‐established legal standards. [p. 82]

Cela change complètement la donne pour le Congrès : si le programme de surveillance doit continuer dans sa forme actuelle, seule une réforme de ce programme et de la loi qui lui sert de fondement ne permettra de lui garantir sa survie.

Cependant, il reste encore le problème de la violation du 4e amendement, soutenue par l’ACLU. Cet amendement protège contre des perquisitions et saisies non motivées et requiert un mandat (circonstancié) pour toute perquisition. Ce grief n’a pas été analysé par la Cour d’appel, à dessein. Les juges ont préféré analyser la matière sous l’angle téléologique. Autrement dit, que voulait le législateur lorsqu’il a adopté la section 215 ? Certainement pas un programme de cette ampleur qui collecte même des données sur les citoyens américains.

La Cour dégage également en corner l’argument selon lequel les métadonnées ne sont pas des données personnelles et ne portent par conséquent pas atteinte à la sphère privée.

Elle démolit aussi la position du gouvernement qui affirmait que le Congrès avait voulu autoriser un tel programme de collecte de données. Les juges ont, bien au contraire, nié cette interprétation et jugé que le Patriot Act est destiné à une surveillance ciblée dans des cas déterminés et limités dans le temps.

The records demanded are not those of suspects under investigation, or of people or businesses that have contact with such subjects, or of people or businesses that have contact with others who are in contact with the subjects – they extend to every record that exists, and indeed to records that do not yet exist, as they impose a continuing obligation on the recipient of the subpoena to provide such records on an ongoing basis as they are created. [p. 61]

La Cour d’appel conteste encore l’argument du gouvernement selon lequel le Congrès aurait implicitement approuvé la collecte massive de données lors du renouvellement de la section 215 en 2010 et 2011. Les juges notent que la plupart des membres du Congrès n’étaient même pas au courant de cette collecte, et que pour pouvoir affirmer cela, il faudrait apporter des preuves relatives aux discussions en plénum du Congrès sur ce sujet.

Congress cannot reasonably be said to have ratified a program of which many members of Congress – and all members of the public – were not aware. [p. 79]

La Cour ne s’arrête pas là et enfonce complètement le Département de Justice. Ce dernier soutenait que les décisions prises par la Cour FISA (qui tranchait les requêtes de surveillance dans le plus grand secret) n’étaient pas soumises au système judiciaire classique et qu’elles ne pouvaient donc pas être revues par celui-ci. Selon le DoJ, le secret de ces décisions l’empêche absolument.

Upon closer analysis, however, that argument fails. The government has pointed to no affirmative evidence, whether “clear and convincing” or “fairly discernible,” that suggests that Congress intended to preclude judicial review. Indeed, the government’s argument from secrecy suggests that Congress did not contemplate a situation in which targets of § 215 orders would become aware of those orders on anything resembling the scale that they now have. That revelation, of course, came to pass only because of an unprecedented leak of classified information. That Congress may not have anticipated that individuals like appellants, whose communications were targeted by § 215 orders, would become aware of the orders, and thus be in a position to seek judicial review, is not evidence that Congress affirmatively decided to revoke the right to judicial review otherwise provided by the APA in the event the orders were publicly revealed. [p. 38]

Un peu plus bas, la Cour rajoute une couche qui démontre bien à quel point les juges ne sont pas (mais alors absolument pas) convaincus par les arguments du gouvernement et de sa manière de procéder.

In short, the government relies on bits and shards of inapplicable statutes, inconclusive legislative history, and inferences from silence in an effort to find an implied revocation of the APA’s authorization of challenges to government actions. [p. 52]

Commentaire

Bien que ce jugement n’aille pas au bout de sa “pensée” (à savoir : fermer les programmes de collecte massive de données), j’en jubile intérieurement comme jamais.

Tout d’abord, c’est une victoire magistrale pour le 4e amendement de la Constitution des États-Unis. Puis, si l’affaire doit revenir devant cette Cour d’appel après la décision de la Cour de district, on a désormais une idée de la manière dont elle pourrait définitivement trancher l’affaire (à moins d’un recours à la Cour suprême). Le seul bémol étant de s’être arrêté un peu à mi-chemin, mais la suite de la procédure (qui prendra sûrement des années) s’annonce haletante et passionnante.

Aujourd’hui est un grand jour et ma foi en la justice se regonfle un peu, grâce à la lueur d’espoir qui vient de s’allumer…