Extrait des registres des poursuites : le conservatisme zurichois
Le registre des poursuites est utile en permettant de s’assurer de la réputation de solvabilité d’une personne privée, soi-même ou un tiers. Cette information est particulièrement pertinente afin de savoir si, en engageant des relations économiques avec un tiers (client), ce dernier sera en mesure de payer son dû. La demande d’un extrait du registre de la poursuite d’un tiers est néanmoins soumise à conditions.
Ces conditions sont explicitées à l’art. 8a al. 1 de la Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) : toute personne peut demander les procès-verbaux et un extrait des registres des offices de poursuites et faillite sur un tiers à condition d’avoir rendu son intérêt vraisemblable.
Cet intérêt est rendu vraisemblable en particulier lorsque la demande d’extrait est directement liée à la conclusion ou à la liquidation d’un contrat. (art. 8a al. 2 LP)
La jurisprudence ainsi que la doctrine ont discuté de la définition de cet intérêt vraisemblable (voir notamment « Les renseignements (art. 8a LP) » d’Eric Muster, publié dans le Bulletin des préposés aux poursuites et faillites, 2014, p. 161-178). Il faut que cet intérêt soit « particulier et actuel » ; la simple curiosité ne suffit pas. En général, cet intérêt est lié à la conclusion d’un contrat (ou à une procédure de faillite).
L’intérêt à la consultation doit être vraisemblable, mais il n’y a pas besoin de prouver celui-ci. Ainsi, en principe, des pièces justificatives sont attendues ; néanmoins, la signature ou une autorisation de la personne concernée n’est pas nécessaire (ATF 52 III 73, cons. 3 ; Gilléron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite vol. I, n.23 ad Art. 8a LP, 1999). La doctrine soutient que les affirmations de certains acteurs de confiance (instituts bancaires, notaires, avocats, etc.) peuvent suffire pour justifier l’intérêt vraisemblable – une situation régulièrement rencontrée dans la pratique, indépendamment de la pratique de l’office cantonal voire de l’officier concerné.
Le conservatisme zurichois
Comme exposé ci-dessus, la preuve de l’intérêt vraisemblable est relativement libre, ce qui laisse une marge de manœuvre aux offices concernés. Or, le canton de Zurich se démarque par un certain conservatisme. Dans sa jurisprudence,
l’Obergericht exige la forme écrite pour justifier l’intérêt vraisemblable : un contrat signé par les parties est nécessaire (jugement du 4 octobre 2004, OGer ZH NR040039U). La justification donnée par le tribunal était la protection de la sphère privée des personnes qui pourraient faire l’objet d’une demande d’extrait du registre des poursuites.
Si cette position est compréhensible (quoique restrictive), elle n’est pas, ou plus, adaptée au monde moderne. En effet, de plus en plus d’échanges commerciaux se réalisent par internet ; les commandes étant prises via un site internet (email ou formulaire de commande), un support spécialisé (notamment pour la vente de logiciels et jeux vidéo) ou une application smartphone. Ainsi, une entreprise qui recevrait une commande en ligne importante ne remplit pas a priori les exigences de l’Obergericht zurichois afin de vérifier la solvabilité de son client : dans ces cas, la commande a été reçue sans la signature de ce dernier.
De son côté, la jurisprudence concernée a été établie en 2004 ; et le jugement se réfère notamment à une publication de 1998 (est cité : Peter, Kommentar zum Bundesgesetz über Schulbetreibung und Konkurs, SchKG I, Basel, 1998). Or le commerce électronique en ligne s’est largement développé depuis 2004 (et encore plus depuis 1998). La jurisprudence du tribunal zurichois est dépassée et compromet inutilement le bon développement de la vente en ligne pour les entreprises sises dans le canton de Zurich respectivement leurs possibilités de vérifier la solvabilité de leurs clients.
Corrections politiques
Lors de la session parlementaire d’automne 2016, le Conseiller national Philippe Bauer (PLR/NE) a saisi le Conseil fédéral pour lui demander si le cadre juridique actuel suffit pour qu’un contrat électronique soit reconnu comme preuve d’un intérêt vraisemblable (voir la Question 16.5333 Compatibilité du cadre juridique suisse au commerce électronique). Le Conseil fédéral a répondu ainsi :
La loi prévoit que toute personne faisant valoir un intérêt vraisemblable peut obtenir des informations de la part de l’office des poursuites. Alors que la jurisprudence du Tribunal fédéral exige en règle générale la production d’une preuve écrite, la doctrine considère que l’intérêt peut être rendu vraisemblable sous une autre forme, notamment de manière orale. L’office des poursuites jouit en la matière d’une importante marge d’appréciation. Il n’est donc pas exclu d’obtenir des réponses différentes en fonction de l’office auprès duquel la demande aura été déposée. Il appartient toutefois au Tribunal fédéral, et non au Conseil fédéral, de définir de quelle manière la disposition doit être interprétée dans le cas d’espèce.
En lisant entre les lignes, on peut comprendre la position du Conseil fédéral comme plutôt libérale.Il reprend la position de la doctrine (la preuve écrite n’est pas obligatoire) et laisse la marge de manœuvre aux offices cantonaux.
Cela ne règle pas la problématique zurichoise ; et les entreprises de ce canton continueront d’être discriminées dans les demandes de procès-verbaux et d’extraits des registres des poursuites par rapport à celles actives dans d’autres cantons. Cependant cette réponse nous permet d’être optimistes sur la réussite des prochaines actions du Conseiller national Philippe Bauer, et de la Commission des affaires juridiques du Conseil national dans laquelle il siège, pour préciser clairement dans la LP que la conclusion ou la liquidation d’un contrat sous forme électronique soit réputés suffisants pour rendre un intérêt vraisemblable à la consultation des procès-verbaux et des registres des poursuites.
Ce texte a été publié conjointement avec lancement de King of Spades Consulting.