Droit d'accès : et si on doit saisir la justice ?
Un lecteur, que je remercie, m’a contacté récemment, car il n’a pas réussi à exercer son droit d’accès auprès d’un maitre de fichier, en l’espèce un comité de soutien à un politicien qui était en campagne pour le Conseil national aux dernières élections (et qui a d’ailleurs été élu).
J’avais traité ici de la procédure non contentieuse, c’est-à-dire celle qui se déroule avant qu’un litige naisse et implique la justice. Cet article vise donc à expliquer comment faire pour agir en justice afin de contraindre un maitre de fichier à vous communiquer les données personnelles qu’il détient à votre sujet. (Lien vers les lettres types)
Accrochez-vous, ceci est un cours accéléré et simplifié de procédure si vous voulez agir vous-même sans l’aide d’un avocat (ce guide peut aussi leur servir, ce n’est pas une procédure que l’on utilise souvent dans le métier).
Saisir la justice pénale ?
En matière de droit d’accès, l’art. 34 LPD punit de l’amende les personnes privées qui contreviennent aux obligations prévues aux art. 8 à 10 et 14, en fournissant intentionnellement des renseignements inexacts ou incomplets.
Cela signifie que le fait de ne pas répondre du tout à une demande d’accès, ou refuser de donner de suite à une demande d’accès, n’est pas pénalement répréhensible. À l’inverse, déclarer qu’on ne possède aucune donnée personnelle vous concernant alors que c’est pourtant le cas constitue un renseignement inexact qui tombe sous le coup de l’art. 34 LPD.
Les tribunaux civils
En l’absence d’une possibilité d’ouvrir action au pénal, il faudra se tourner vers les juridictions civiles si le droit d’accès est, en l’espèce, refusé, totalement ou partiellement. L’art. 15 LPD permet en effet à un tribunal de statuer sur les actions en exécution du droit d’accès selon la procédure simplifiée prévue par le code de procédure civile. Voici comment il faut procéder.
Généralités
Tout d’abord, à l’inverse de l’exercice du droit d’accès selon l’art. 8 LPD, la procédure devant les tribunaux n’est pas gratuite. En pratique, la juridiction saisie exigera une avance de frais (art. 98 du Code de procédure civile, CPC) qui ne devrait pas être trop élevée – quelques centaines de francs en fonction des cantons. De toute façon, si vous ne mandatez pas un avocat, la juridiction saisie doit vous informer sur le montant probable des frais et sur la possibilité éventuelle d’obtenir l’assistance judiciaire (art. 97 CPC ; art. 117 et suivants CPC). En principe, si vous gagnez la procédure, l’avance de frais vous est remboursée et vous aurez droit à une indemnité pour les dépens (art. 106 et 111 CPC).
Si vous voulez agir en justice, il faut encore savoir auprès de quelle autorité ! L’art. 20 let. d CPC déclare que le tribunal du domicile ou du siège de l’une des parties est compétent. (Il est possible de déroger à cette règle, cf. art. 9 CPC.) Il faut encore préciser que si c’est contre votre employeur que vous agissez, l’autorité compétente sera celle de l’art. 34 CPC (voir l’art. 35 CPC et l’art. 328b CO).
Conciliation
La procédure doit être introduite par une requête en conciliation devant une autorité de conciliation (art. 197 CPC ; art. 198 CPC a contrario ; art. 202 et suivants CPC). La procédure est régie par les dispositions sur la procédure simplifiée (art. 15 al. 4 LPD ; art. 243 et suivants CPC). Il est primordial d’indiquer clairement ce que vous voulez obtenir – on appelle cela des conclusions (art. 130 et 244 CPC). Vous avez l’obligation de comparaitre personnellement devant l’autorité, assisté ou non (art. 204 CPC). Si la conciliation aboutit, la procédure est terminée (art. 208 CPC). Si elle n’aboutit pas, l’autorité de conciliation vous remettra une autorisation de procéder qui vous permettra d’agir devant un tribunal dans les trois mois (art. 209 CPC).
Première instance
Si vous devez en arriver là, vous avez du courage et de la volonté.
Il faudra rouvrir une procédure devant un tribunal (différent de l’autorité de conciliation, en principe) en respectant les art. 243 et suivants CPC. Une avance de frais vous sera alors demandée, le tribunal vous citera à comparaitre ou donnera préalablement la possibilité au maitre de fichier récalcitrant de se déterminer sur votre demande.
Le tribunal établit les faits d’office (art. 247 al. 2 let. a CPC et art. 243 al. 2 CPC), ce qui signifie qu’il revient au tribunal de réunir de son propre chef les pièces déterminantes pour l’établissement de l’état de faits, définir les faits pertinents pour la solution du litige, procéder à l’administration et à l’appréciation des preuves. Cependant, ce n’est pas un oreiller de paresse et vous devez collaborer à la procédure (art. 160 CPC), tout comme le maitre de fichier. Un jugement sera ensuite rendu.
Appel
Si vous devez en arriver là, vous avez vraiment du courage et de la volonté.
Suite au jugement, un appel peut être déposé dans les 30 jours suivant la notification du jugement pour violation du droit et/ou constatation inexacte des faits. L’appel doit être écrit et motivé (art. 308 à 313 CPC).
Si le jugement est communiqué en audience ou si seul le dispositif du jugement est notifié par courrier, il faut d’abord demander la motivation du jugement dans les dix jours. Dès la communication de la motivation, le délai d’appel de 30 jours partira (art. 239 et 311 CPC).
Recours au Tribunal fédéral
Si vous décidez de porter l’affaire devant le Tribunal fédéral, je m’incline et vous assure de mon respect éternel.
Le Tribunal fédéral est compétent pour trancher des litiges en matière civile (art. 72 LTF). Le recours contre l’appel (en dernière instance cantonale) doit être déposé dans les 30 jours suivant la notification du jugement d’appel (art. 100 LTF). Normalement, une action en exécution du droit d’accès est non pécuniaire (vous ne demandez que l’accès à vos données, rien d’autre, et surtout pas des dommages et intérêts ou une autre prestation financière). En effet, si l’affaire contient des conclusions d’ordre pécuniaire, le Tribunal fédéral n’entre en matière que si la valeur litigieuse est d’au moins CHF 30'000.- (art. 74 al. 1 LTF), sauf exception (al. 2).
Votre plus grosse difficulté, et elle est identique pour un avocat, c’est la motivation de vos griefs (art. 42 LTF). De plus, vous ne pourrez invoquer que la violation du droit (art. 95 LTF) ou l’établissement inexact des faits (art. 97 LTF). Là encore, il faudra être très précis et clair dans vos conclusions (art. 42 et 107 LTF).
CEDH
Là, c’est le pompon. Mais on en reparlera quand vous y serez effectivement.
D’ici là, bonne chance !