François Charlet

Actualités, opinions et analyses juridiques et technologiques internationales et suisses

Réflexion sur la neutralité de Facebook

17/05/2016 5 Min. lecture Opinions François Charlet

Les convictions de celles et ceux qui croyaient que Facebook était “neutre” politiquement et ne manipulait pas les opinions ont été douchées la semaine passée. Facebook a été accusé de faire en sorte de ne pas afficher d’opinions et de contenus conservateurs dans ses “trending topics” (contenus populaires).

Mark Zuckerberg a été contraint de sortir du bois et de publier un message d’explication sur cette pratique, qu’il ne dément pas formellement lorsqu’il déclare qu’il n’a pas trouvé de preuve qui confirme qu’elle existe. En voici des extraits.

[…]

To serve our diverse community, we are committed to building a platform for all ideas. Trending Topics is designed to surface the most newsworthy and popular conversations on Facebook. We have rigorous guidelines that do not permit the prioritization of one viewpoint over another or the suppression of political perspectives.

This week, there was a report suggesting that Facebook contractors working on Trending Topics suppressed stories with conservative viewpoints. We take this report very seriously and are conducting a full investigation to ensure our teams upheld the integrity of this product.

We have found no evidence that this report is true. If we find anything against our principles, you have my commitment that we will take additional steps to address it.

[…]

La neutralité n’existe pas

Soyons honnêtes. La neutralité n’existe pas vraiment. Même la Suisse n’est pas aussi neutre politiquement qu’elle veut (nous) le (faire) croire. Dans les médias en particulier, il n’y a pas de neutralité. Que ce soit dans le choix des thèmes à traiter, dans la manière de les traiter, même le plus “neutre” des journalistes ou des rédacteurs en chef laissera transparaitre ses points de vue.

Cela ne signifie pas cependant qu’il faille renoncer à une mise en évidence de ces biais. Là où la méthode de Facebook prend l’eau, c’est qu’il semble penser que l’utilisation d’algorithmes permet de pallier l’apparition de ces biais. Un peu comme si un média traditionnel devenait automatiquement immunisé contre toute critique sur la neutralité du traitement de l’actualité parce qu’il donne la parole à différentes personnes de différents bords politiques exprimant des opinions opposées.

La responsabilité des “réseaux sociaux”

Traditionnellement, et en principe, les médias “classiques” ont une responsabilité envers le public. Le Conseil de l’Europe l’a rappelé récemment dans une résolution 2066 (2015). La liberté d’expression dans les médias constitue un préalable nécessaire dans toute société démocratique et une condition indispensable à ses progrès sociétaux et à l’épanouissement de tout être humain. L’exercice de cette liberté comporte des devoirs et des responsabilités. Les journalistes professionnels sont soumis à une diligence professionnelle et à un code de déontologie concrétisant des règles éthiques. Il est possible de se plaindre des médias et de leur éthique, par exemple, en Suisse, auprès du Conseil suisse de la presse.

Facebook et les autres réseaux sociaux, qui se considèrent aussi comme des médias sociaux, n’ont jamais été intégrés à ce processus et n’ont pas de tels garde-fous. Pourtant Facebook dispose du pouvoir de façonner non seulement l’opinion publique, mais aussi le monde médiatique. C’est d’ailleurs ce qui a motivé le Sénateur John Thune (républicain) à demander à Facebook d’expliquer comment il gère les biais.

Facebook est toujours considéré comme un réseau social alors que c’est aujourd’hui une puissante entreprise de média. Combien de millions de personnes consultent chaque jour leur “news feed” (fil d’actualités) ? Combien de millions de clics Facebook redirige-t-il vers les autres sites de médias (y compris ce blog, mais dans une plus modeste mesure) ?

Il n’y a aujourd’hui pas de preuve concrète que Facebook a un comportement qui justifierait de pousser des cris d’alarme. Cela ne doit pas atténuer notre méfiance et notre sens critique, car le danger est néanmoins bien réel.

Lorsque Mark Zuckerberg déclare qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir pour que Facebook reste neutre, c’est doublement inquiétant. Au premier chef, car cela laisse entendre que Facebook n’a pas encore réalisé le pouvoir qu’il a entre ses mains et qu’il n’est plus un réseau social, mais une entreprise de média. Deuxièmement, c’est le genre de déclaration qui endort le public et qui lui fait croire que Facebook n’est pas sujet aux mêmes problèmes que les médias traditionnels, car tout est géré par des algorithmes.

A mon avis, Facebook doit être soumis aux mêmes règles d’éthique, de transparence et de déontologie que les journalistes et médias traditionnels. Il n’y a pas de différence fondamentale entre un éditeur et un algorithme. Il y a beaucoup d’humains derrière un algorithme, tous pouvant à un moment ou à un autre de son développement, de sa phase de test, de son implémentation, créer un biais (qu’il soit conscient ou non).

La problématique de la transparence est aussi importante, car Facebook est constitué d’un grand nombre d’individus qui nous sont inconnus. Ils travaillent pour Facebook, prennent des décisions, façonnent le service que nous utilisons et qui nous propose des contenus, sans que l’on sache quelles sont les sensibilités de ces personnes.

Le mutisme dans lequel Facebook s’enferme lorsqu’il s’agit de discuter des lignes directrices éditoriales de ses algorithmes est inquiétant en regard des implications qu’ils peuvent avoir pour la liberté d’expression et d’information.