François Charlet

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Revenge porn en France et en Suisse

18/03/2016 5 Min. lecture Droit François Charlet

Dura lex sed lex. Voilà la conclusion à laquelle la Cour de cassation française arrive dans une affaire de “revenge porn”. Mais la situation est pire en Suisse où on dirait simplement : nulla lex. Aucune loi.

Les faits

Bien souvent dans ces affaires, les faits sont d’une banalité affligeante. Dans un couple, Monsieur photographie sa compagne, enceinte, nue, mais avec son consentement. Lorsque le couple se sépare, Monsieur décide de se venger et diffuse la photo sur Internet (d’où le nom de “revenge porn”). La compagne porte plainte et invoque l’art. 226-1 du Code pénal français dont voici la teneur.

Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :

1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;

2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.

Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé.

Monsieur est condamné pour avoir utilisé un document obtenu au moyen de l’un des actes énumérés ci-dessus. Il fait appel, mais la décision est confirmée. Il se pourvoit alors en cassation.

Le jugement de la Cour de cassation

Assez bref, le jugement commence par rappeler que

la loi pénale est d’interprétation stricte.

Il rappelle encore que

l’arrêt [de la Cour d’appel de Nîmes, ndr] énonce que le fait, pour la partie civile, d’avoir accepté d’être photographiée ne signifie pas, compte tenu du caractère intime de la photographie, qu’elle avait donné son accord pour que celle-ci soit diffusée.

Mais la Cour n’est pas d’accord avec cette interprétation et déclare succinctement qu'

en se déterminant ainsi, alors que n’est pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l’image d’une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;

En d’autres termes, la Cour de cassation, certainement un peu embêtée de devoir rendre une telle décision qui va à l’encontre du bon sens, au minimum, ne peut que constater qu’en l’état, le droit pénal français ne permet pas de punir l’auteur de la diffusion de photographies d’une personne nue si cette dernière avait préalablement consenti à la prise de vue.

Le raisonnement de la Cour de cassation est le suivant et il se base sur le lien de dépendance de l’art. 226-2 à l’art. 226-1, le premier disposant notamment que

Est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1.

L’art. 226-1 mentionne qu’il est interdit de “fixer” ou “enregistrer” ou “transmettre” la photographie d’une personne sans qu’elle y ait consenti, étant sous-entendu ici que le consentement doit être donné pour chaque acte. Or la Cour estime que le consentement à l’un des actes ne permet pas d’incriminer une personne pour avoir réalisé un autre acte sans le consentement du sujet de la photographie. Ainsi, l’art. 226-2 ne peut être appliqué. Fort heureusement, la loi devrait être modifiée prochainement pour régler cette situation qui n’est évidemment pas satisfaisante ni juste.

De mon point de vue, chaque acte est bel et bien distinct et requiert un consentement spécifique pour enlever toute illégalité à l’acte. La Cour se trompe gravement et n’envoie pas un bon signal à la population et aux hommes (car ce sont eux les auteurs dans la majorité des cas) et complique la tâche des organismes et personnes qui luttent contre les comportements de ce genre.

Chères Françaises, soyez donc prudentes.

En Suisse

Le revenge porn ne dispose pas d’un article précis du Code pénal et ne semble pas punissable pénalement, ce qui est préoccupant !

En fonction du contexte, du commentaire accompagnant l’image ou la vidéo diffusée, on pourra envisager l’infraction de diffamation (art. 173 CP), de calomnie ou plus généralement d’injure (art. 177 CP).

L’art. 179quater CP sur la violation du domaine secret ou privé au moyen d’un appareil de prise de vues ne peut s’appliquer puisqu’il exige d’abord l’absence de consentement pour la prise de vue pour que la diffusion soit punissable.

De même, il ne me semble pas qu’une des infractions du titre relatif aux crimes ou délits contre la liberté (art. 180 à 186 CP) et du titre relatif aux infractions contre l’intégrité sexuelle (art. 187 à 200 CP) puisse être applicable au revenge porn.

En Suisse, seule la voie d’une action civile pour atteinte aux droits de la personnalité semble être envisageable.

À l’instar de la France, nos autorités n’envoient pas un signal très heureux en la matière et il conviendrait que le Parlement fédéral fasse modifier le Code pénal afin qu’il reflète la réalité de la société et des actes détestables qui y sont commis et qui devraient être punis.