François Charlet

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Vidéosurveillance dans un immeuble locatif jugée disproportionnée par le Tribunal fédéral

19/04/2016 4 Min. lecture Droit François Charlet

C’est une première. Après que le Préposé fédéral s’était saisi en 2008 d’une affaire de vidéosurveillance dans un chalet de vacance, au terme de laquelle une recommandation avait été rendue qui constatait l’illicéité de cette vidéosurveillance, le Tribunal fédéral a rendu hier, pour la première fois, un arrêt sur cette thématique. Cet arrêt sera d’ailleurs publié au recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral (ATF) ce qui témoigne de son importance.

L’affaire concerne un immeuble locatif bâlois dans lequel les bailleurs décident d’installer un système de vidéosurveillance comprenant douze caméras, localisées à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de l’immeuble. L’immeuble compte vingt-quatre appartements. Le but de cette vidéosurveillance est la prévention des effractions et du vandalisme. Les images n’étaient conservées que vingt-quatre heures. L’ensemble des locataires ont donné leur accord à ce système, sauf un qui a ouvert action et obtenu du Tribunal cantonal de Bâle-Campagne que trois caméras soient démontées. L’une d’elles filmait l’entrée de la partie de l’immeuble où le locataire habitait, les deux autres se trouvaient dans les couloirs menant à la buanderie commune.

Saisi d’un recours par les bailleurs, le Tribunal fédéral a confirmé la décision du Tribunal cantonal. Selon ce dernier, le fait de filmer en permanence les accès au logement du locataire ainsi que, notamment, la cage d’escalier permet de déterminer les heures auxquelles le locataire entre ou sort de chez lui, s’il est accompagné, etc. Le Tribunal cantonal estime que cela représente une atteinte à sa personnalité, plus précisément à sa sphère privée, et que cette vidéosurveillance restreint son droit de locataire de jouir du bien qu’il loue. Quant aux caméras situées vers la buanderie, elles filment des situations de la vie quotidienne auxquelles le bailleur n’a pas à avoir accès, et dont il n’a pas non plus à avoir connaissance.

Le Tribunal fédéral constate d’abord que l’installation de vidéosurveillance permet d’identifier des individus et traite donc des données personnelles au sens de l’art. 3 LPD, ce qui rend cette loi applicable. Il rappelle ensuite que le bailleur qui souhaite installer un tel système doit prendre en compte le principe de proportionnalité (art. 4 al. 2 LPD) et respecter les exigences des art. 12 et suivants LPD. L’art. 12 LPD dispose entre autres que

Quiconque traite des données personnelles ne doit pas porter une atteinte illicite à la personnalité des personnes concernées. Personne n’est en droit notamment de traiter des données personnelles en violation des principes définis aux art. 4, 5, al. 1, et 7, al. 1.

Le Tribunal fédéral reconnaît l’intérêt du bailleur à prévenir des effractions et le vandalisme, de même que celui des locataires qui ont donné leur accord à cette vidéosurveillance. Cependant, ces intérêts et l’accord des locataires ne peuvent pas justifier n’importe quelle mesure, en particulier à l’intérieur de l’immeuble. Il s’agit donc de faire une pesée d’intérêts concrète prenant en compte l’ensemble des circonstances de l’affaire. Le Tribunal fédéral estime qu’une vidéosurveillance de l’entrée d’un immeuble anonyme, où existe un éventuel risque d’agressions, peut être indiquée et tolérable pour toutes les personnes visées. En revanche, tel ne devrait normalement pas être le cas, en l’absence d’indices concrets d’un danger, s’agissant d’un petit immeuble locatif où les voisins se connaissent. Ainsi, les intérêts des bailleurs et locataires sont suffisamment sauvegardés par les neuf caméras restantes.

Commentaire

Enfin. Le Tribunal fédéral s’est enfin prononcé sur un cas de vidéosurveillance par des personnes privées et dans un espace privé, en l’espèce un immeuble locatif. Cet arrêt est intéressant, car il rappelle que tout n’est pas permis au nom de la sacro-sainte sécurité. De même, comme il convient de mettre dans la balance tous les intérêts en présence, il évoque aussi le fait que le droit à la sphère privée n’est pas gravé dans le marbre, mais qu’il peut devoir céder le pas face à d’autres droits.

Le Tribunal fédéral a également insisté sur un élément que j’ai mis en gras ci-dessous. Il faut des indices concrets d’un danger. Un simple risque abstrait ne suffit pas. Le Tribunal fédéral lie cependant cette condition à celle de la taille de la communauté visée, qui doit donc être relativement petite.

C’est regrettable, car le notre Haute Cour avait là la possibilité d’envoyer un signal fort en indiquant qu’en l’absence d’indices concrets d’un danger, il n’y a pas matière à installer des caméras de surveillance. Elle n’a pas saisi cette opportunité.