Non, n'envoyez pas des photos de vous nu-e à Facebook
J’ai l’impression que Facebook veut jouer au pompier, mais vous recommande d’asperger votre maison d’essence pour vous faire sentir mieux.
Le titre de cet article semble tomber sous le sens pour beaucoup d’entre vous, dont je fais partie. Pourtant, on a appris dernièrement que Facebook travaillait avec le gouvernement australien sur un projet de lutte contre le “revenge porn” (une pratique détestable dont j’ai parlé ici en 2016).
L’idée de Facebook est la suivante et emprunte une technique utilisée pour lutter contre la distribution sur Internet d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Dans ce contexte, une plateforme comme YouTube peut, encore aujourd’hui, difficilement empêcher que des œuvres protégées soient uploadées sur la plateforme. Par contre, une fois que ces œuvres ont été signalées puis supprimées, YouTube peut empêcher qu’elles réapparaissent. En effet, avant la suppression de l’œuvre, YouTube aura pris une empreinte unique de la vidéo permettant de l’identifier : on appelle cela un “hash” ou somme de contrôle. Ainsi, la vidéo sera bloquée par YouTube si on essaie de l’uploader à nouveau ; la technologie permet d’ailleurs aujourd’hui de bloquer un contenu même s’il a été modifié afin que son empreinte soit différente. Des bases de données contenant de grandes quantités de ces empreintes (comme PhotoDNA) sont d’ailleurs partagées par Facebook, Google et Twitter afin d’éviter, dans le cas de PhotoDNA, que des images pédopornographiques apparaissent sur leurs plateformes.
Pour revenir à Facebook, le but est d’empêcher que des photos intimes soient publiées sur le réseau social, et Facebook demande donc à ses utilisateurs de prendre les devants en partageant ces photos avec lui au préalable. Facebook pourra ainsi créer un hash de chaque photo intime et empêcher qu’elles soient ensuite publiées. Le hash ni l’image ne serait conservé très longtemps.
Au premier abord, l’objectif de Facebook semble louable : prévenir la diffusion publique de photos ou vidéos intimes partagées auparavant avec une ou plusieurs personnes sur la base d’une relation de confiance. En effet, les victimes de revenge porn sont bien souvent dévastées par la publication de telles images, qui plus est sur un réseau social comptant des milliards d’utilisateurs actifs. Pour vous donner une idée de l’ampleur du phénomène, en décembre 2016, un rapport annonçait que 4 % des internautes américains avaient été victimes de revenge porn.
Mais les moyens proposés par Facebook posent deux problèmes. Tout d’abord, seul Facebook sera en mesure d’empêcher les images embarrassantes d’être publiées ; il n’est dit nulle part que la base de données constituée par le réseau social sera partagée avec d’autres plateformes. Et ce problème ne se présente que si l’on estime que l’idée de Facebook est bonne. Sauf qu’elle ne l’est pas.
Le second et principal grief concerne la moralité et la répartition des responsabilités. J’avoue être un peu sidéré par le niveau de confiance que le gouvernement australien semble placer en Facebook. Surtout aujourd’hui avec le scandale des élections américaines de 2016, visiblement influencées par la Russie et ses publicités payées en roubles visant des Américains, publicités que Facebook n’aurait pas jugé bon de contrôler… Et on voudrait nous inciter aujourd’hui à transmettre nos photos intimes à Facebook, réseau social créé à l’origine par Mark Zuckerberg — lorsqu’il était à l’université — dans le but de comparer des photos de deux étudiant-e-s et de décider lequel/laquelle des deux était “hot” ?
Le fait d’offrir aux individus la possibilité d’empêcher des photos embarrassantes d’être publiées n’envoie pas du tout le bon message, qui devrait être : l’auteur de la divulgation de ces images doit être poursuivi et condamné. Il n’y a aucune raison de se sentir coupable si une pourriture à qui vous avez fait confiance vient à publier ces contenus, quelle que soit la raison de son geste. On pourra vous rétorquer un manque de prudence, mais ce n’est pas vous qui avez commis un acte illicite. On retrouve cette façon de culpabiliser la victime dans les affaires de viol où l’on reprochera parfois à la victime son attitude envers le violeur, sa façon de s’habiller, etc., ce que je trouve absolument abominable.
Est-ce donc vraiment une bonne idée que de proposer de partager ces images intimes avec l’une des plus grandes et puissantes sociétés technologiques au monde ? Ou la solution de l’artiste Sia n’est-elle pas la meilleure, elle qui a publié une photo d’elle nue sur Twitter afin d’empêcher un tiers qui comptait la vendre de s’enrichir ?
La réponse à ce phénomène ne viendra pas ici des sociétés privées, aussi puissantes soient-elles, mais de la police et de la justice d’un État démocratique auxquelles nous devons donner les armes juridiques nécessaires à la poursuite de ces infractions et qui doivent être en mesure de rendre des sentences non seulement dissuasives, mais surtout proportionnelles au tort infligé. Lequel est immense car Internet a une mémoire infinie et connecte des milliards d’individus qui peuvent alors avoir facilement accès à ces contenus intimes et, à l’origine, privés… Malheureusement, en Suisse, le revenge porn n’est pas condamnable pénalement, ce qui est particulièrement honteux.