Facebook : récusation d'un magistrat et responsabilité conjointe de traitement
Deux arrêts ont été rendus ces derniers jours concernant de près et de loin Facebook. Le premier est celui de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui devait déterminer si un administrateur d’une page Facebook était responsable conjoint de traitement. Le second a été rendu par le Tribunal fédéral (TF) concernant la récusation d’un juge en raison d’une “amitié” sur Facebook.
1. L’arrêt de la CJUE
La CJUE a confirmé le 5 juin l’opinion de son avocat général (dont j’avais parlé ici en novembre 2017 et auquel je vous renvoie pour les faits de l’affaire).
En résumé, dans un arrêt C-210/16, la CJUE a considéré que l’administrateur d’une page Facebook est conjointement responsable avec Facebook du traitement des données personnelles des visiteurs de ladite page. Ni Facebook ni l’administrateur de la page n’est le sous-traitant de l’autre : il s’agit bien d’une responsabilité conjointe.
L’avocat général avait auparavant déclaré que le point de vue selon lequel Facebook est le responsable de traitement et que l’administrateur de la page ne l’est pas est erroné. Cet administrateur doit être considéré comme responsable de traitement, tout comme Facebook (ce qui était un peu plus évident), bien qu’il ne soit finalement qu’un utilisateur du réseau social.
La CJUE confirme l’avis de l’avocat général : Facebook est responsable de traitement car il détermine les finalités et les moyens des traitements de données personnelles réalisés. Cependant, l’administrateur de la page Facebook est lui aussi responsable de traitement car c’est à lui qu’il revient de paramétrer la page (par ex. audience cible, promotion de l’activité) et aussi de déterminer les finalités et moyens des traitements de données des visiteurs. Il peut demander à Facebook qu’il lui fournisse des informations anonymisées sur la démographie de ses audiences (profession, âge, sexe, etc.), leur style de vie, leurs centres d’intérêts, des informations géographiques, etc.
En outre, comme il convient d’assurer la protection la plus complète aux personnes concernées par des traitements de leurs données personnelles, la qualification de l’administrateur d’une page comme responsable de traitement a tout son sens.
Avis
Cette décision est importante car elle a permis à la CJUE de se pencher sur la notion de responsable conjoint et de renvoyer les administrateurs de pages Facebook à leurs responsabilités. Désormais, sous l’empire du RGPD, ces derniers devront créer et tenir à jour un registre des traitements de données, éventuellement désigner un DPO selon le cas d’espèce, procéder à des analyses d’impact, mais surtout conclure une convention avec Facebook, conformément à l’art. 26 RGPD, qui fixe les obligations de chacun des responsables, et fournir aux personnes concernées des informations sur cet accord. En outre, chacun des responsables pourra être tenu pour responsable des manquements de l’autre.
Si ce jugement vaut pour les pages Facebook, il vaut également pour les autres plateformes de réseaux sociaux comme Twitter, Instagram, YouTube et LinkedIn.
La question se pose désormais de savoir si les administrateurs de comptes de réseaux sociaux, à l’instar des pages Facebook, veulent prendre cette responsabilité et sont prêts à y faire face. Dans la négative, ces comptes devront être supprimés. S’ils veulent s’y soumettre, la transparence devra être de mise envers les visiteurs et personnes concernées (quelles données sont collectées via Facebook, dans quel but, etc.), que les personnes soient ou non inscrites sur le réseau social. La question du tracking et de l’enregistrement des adresses IP devra également être éclaircie.
2. L’arrêt du TF
Dans un arrêt du 14 mai 2018 (5A_701/2017), destiné à publication au recueil officiel des ATF, le TF a considéré que le simple fait que la partie adverse est “amie” sur Facebook avec le juge de la procédure en cours n’est pas un argument qui, à lui seul, suffit à justifier sa récusation.
Le TF rappelle d’abord que, de jurisprudence constante, des liens d’amitié ou une inimitié peuvent créer une apparence objective de partialité à condition qu’ils soient d’une certaine intensité. En revanche, des rapports de voisinage, des études ou des obligations militaires communes ou des contacts réguliers dans un cadre professionnel ne suffisent en principe pas. Plus généralement, pour être à même de trancher un différend avec impartialité, un juge ne doit pas se trouver dans la sphère d’influence des parties. Le droit à un juge indépendant et impartial (art. 30 al. 1 Cst. et 6 ch. 1 CEDH) doit ainsi être garanti.
La recourante soutenait qu’une relation d’amitié entre un juge et une partie peut constituer un motif de récusation, en particulier lorsqu’ils n’ont a priori pas de formation similaire et très peu de chances d’avoir été collègues. Le TF a balayé cet argument en rappelant que sous peine de compromettre le fonctionnement normal des tribunaux, ce point de vue tendrait à admettre que le moindre lien entre un juge et une partie suffirait à fonder une apparence de prévention et conduire à la récusation du magistrat concerné. Certes, une relation personnelle avec une partie est moins courante et pourrait susciter plus rapidement des doutes quant à l’impartialité du juge. Et de rappeler, conformément à la jurisprudence, que le lien doit, par son intensité et sa qualité, être de nature à faire craindre objectivement qu’il influence le juge dans la conduite de la procédure et dans sa décision. On ne peut interdire aux juges de prendre part à la vie en société et de s’y intégrer sous prétexte qu’ils doivent être en permanence en état de juger des causes de manière impartiale.
Le TF s’attache ensuite à donner son appréciation de la notion de “l’amitié sur Facebook”.
Le terme d’ “ami” employé pour désigner les personnes qui acceptent d’entrer en contact sur Facebook ne renvoie pas à des relations d’amitié au sens traditionnel tel que l’entend la jurisprudence susmentionnée. Il ne suppose pas forcément un sentiment réciproque d’affection et de sympathie ou une connaissance intime qui implique une certaine proximité allant au-delà du simple fait de connaître quelqu’un ou de le tutoyer […]. Il atteste uniquement de l’existence de contacts entre des personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêt. S’il peut désigner des proches avec qui l’on entretient régulièrement des relations dans la vie réelle, il peut aussi viser des personnes avec lesquelles les relations sont plus détachées et que l’on qualifierait de simples connaissances dans la vie réelle, voire des individus avec lesquels on ne partage qu’un intérêt commun pour un domaine particulier et uniquement sur le réseau social. Le cercle des personnes visées est ainsi beaucoup plus large que celui induit par une amitié au sens traditionnel du terme […].
Et le TF de donner l’estocade.
En l’absence d’autres éléments, le seul fait d’être “ami” sur Facebook ne saurait donc suffire à démontrer le lien d’amitié propre à fonder une apparence de prévention tel que l’entend la jurisprudence. Il ne peut être qu’un indice parmi d’autres qui, ensemble, peuvent justifier la récusation.
Analyse
Cette jurisprudence du TF est à saluer, à l’instar des décisions (concordantes) des instances précédentes. Elle a le mérite de préciser la notion d’amitié sur Facebook et, par extension, les relations qu’on les justiciables avec des magistrats sur les réseaux sociaux.
Il est à noter que le TF a utilisé la procédure de coordination de l’art. 23 al. 2 LTF qui indique que lorsqu’une cour entend trancher une question juridique qui concerne plusieurs cours, elle demande l’accord des cours intéressées réunies si elle est d’avis qu’une décision commune est souhaitable pour le développement du droit ou l’uniformité de la jurisprudence. Cela signifie que le TF considère sa décision comme ayant une portée générale qui ne se limite pas au droit civil, mais aussi aux droits administratif et pénal entre autres.