François Charlet

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Dashcams : peut-on utiliser les enregistrements pour prouver des violations à la LCR ?

10/10/2019 5 Min. lecture Droit François Charlet

Dans un arrêt 6B_1188/2018 du 26 septembre 2019, dont la publication aux ATF est prévue, le Tribunal fédéral a eu à trancher une question intéressante et importante : peut-on exploiter, comme moyens de preuves visant à démontrer des violations de la loi fédérale sur la circulation routière (LCR), des vidéos prises par des usagers de la route au moyen de dashcams ?

Faits

Le 26 avril 2018, le tribunal de district de Bülach a déclaré une conductrice coupable de multiples violations, parfois graves, de la LCR. Il lui a infligé une peine pécuniaire avec sursis de 110 jours-amendes à CHF 150 le jour, et une amende de CHF 4'000. La conductrice a fait appel de cette décision. Le 9 octobre 2018, le Tribunal cantonal de Zurich a confirmé la décision de première instance.

Droit

La conductrice se plaint que les infractions dont elle est accusée ont été enregistrées par un autre usager de la route avec une dashcam. Selon elles, ces enregistrements vidéo ont été réalisés illégalement et sont donc inutilisables dans le cadre de la procédure pénale. Se pose donc la question de l’admissibilité de ces moyens de preuves.

Le Code de procédure pénale (CPP) contient des dispositions relatives aux moyens de preuves interdits ou obtenus illégalement (art. 140 et 141 CPP). Il ne réglemente pas explicitement dans quelle mesure l’interdiction des moyens de preuves s’applique également lorsque des personnes privées recueillent des preuves à la place des autorités. On part ainsi du principe que les preuves obtenues illégalement par des particuliers ne peuvent être utilisées que si elles auraient pu être obtenues légalement par les autorités de poursuite pénale et si, cumulativement, la balance des intérêts penche en faveur de l’utilisation de ces moyens de preuves. (consid. 2.1)

Il en découle que les éléments de preuve que les autorités pénales ont recueillis de manière punissable ou en violation des dispositions relatives à leur validité ne peuvent être utilisés, à moins que leur utilisation ne soit indispensable à la clarification d’une infraction pénale grave. Le Tribunal fédéral considère que, pour le prévenu, il importe peu de savoir par qui, de l’Etat ou d’une personne privée, la preuve a été recueillie. Il semble ainsi justifié d’appliquer la même norme (art. 140 et 141 CPP) à la pondération des intérêts en ce qui concerne les éléments de preuve recueillis par l’État et de n’autoriser les preuves obtenues illégalement par des particuliers que si cela est indispensable pour la clarification des infractions pénales graves. (consid. 2.2)

Concernant l’aspect relatif à la protection des données, le Tribunal fédéral retient que la prise de photographies ou vidéos dans des espaces publics sur lesquels des personnes ou des plaques d’immatriculation de véhicules sont reconnaissables constitue un traitement de données personnelles au sens de l’art. 3 let. a et e LPD. Dès lors, comme l’art. 4 al. 4 LPD prévoit que la collecte de données personnelles et la finalité de leur traitement doivent être identifiables par la personne concernée, le non-respect de ce principe constitue une atteinte à la personnalité (art. 12 al. 2 let. a LPD). (consid. 3.1)

Le Tribunal fédéral reconnait que l’enregistrements de vidéos depuis un véhicule n’est pas facilement reconnaissable par les autres usagers de la route. Le traitement des données personnelles doit donc être qualifié de non-reconnaissable. C’est d’autant plus vrai que ces enregistrements sont difficiles à reconnaître dans un trafic dense ou à distance et que les personnes concernées ne les apperçoivent, le cas échéant, que lorsqu’ils ont déjà été filmés. En outre, la LCR impose aux conducteurs de prêter attention à la circulation, c’est pourquoi on ne peut pas attendre d’eux qu’ils cherchent des informations sur d’autres véhicules. (consid. 3.2)

Selon l’art. 13 al. 1 LPD, une atteinte à la personnalité au sens de l’art. 12 LPD est illicite si elle n’est pas justifiée. Pour déterminer s’il existe une justification au sens de l’art. 13 al. 1 LPD, il faut trouver un équilibre entre les intérêts du responsable du traitement et ceux de la personne lésée. Lorsqu’il s’agit de la valeur du moyen de preuve en droit pénal, le droit de l’État à la sanction et le droit de l’accusé à un procès équitable sont avant tout décisifs ; les intérêts du responsable de traitement privé sont relégués à l’arrière-plan. (consid. 3.3)

Le Tribunal fédéral conclut donc que l’enregistrement vidéo a été réalisé au mépris de l’art. 4 al. 4 LPD et est donc illégal. Le tribunal de district a qualifié le comportement de la conductrice de contraventions et de délits qui, selon la jurisprudence, ne doivent pas être qualifiés d’infractions pénales graves au sens de l’art. 141 al. 2 CPP. Comme cette norme doit s’appliquer à l’exploitation de preuves recueillies par des particuliers, la balance penche donc en faveur de l’interdiction de l’utilisation de ces moyens de preuves pour la poursuites d’infractions légères à la LCR. Le Tribunal fédéral laisse ouverte la question de savoir si les preuves dont il est question auraient pu être obtenues légalement par les autorités de poursuite pénale. (consid. 4)

Commentaire

Le Tribunal fédéral ne tranche pas la question de savoir si les enregistrements réalisés au moyen d’une dashcam peuvent être admis comme moyens de preuve lorsque le prévenu est poursuivit pour des infractions graves. Il est cependant probable, au vu de la doctrine et jurisprudence rendue ces dernières années, qu’en fonction des circonstances, mais dans la plupart des cas néanmoins, le Tribunal fédéral admette ces moyens de preuve.