François Charlet

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La nouvelle LDA permet aux titulaires des droits de traiter des données personnelles pour les poursuites pénales

07/05/2020 5 Min. lecture Droit François Charlet

Le 1er avril 2020, une révision importante de la loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins (LDA) est entrée en vigueur. Cette révision avait pour but de continuer la modernisation de la loi et son adaptation au contexte numérique (qui avait commencé en 2008). De nombreuses mesures ont été prises à ce sujet, au sujet desquelles je vous renvoie pour plus de détails au communiqué de presse du DFJP.

Une nouvelle disposition de la LDA est particulièrement intéressante, l’art. 77i, dont la teneur est la suivante :

  1. Le titulaire des droits qui subit une violation de son droit d’auteur ou d’un droit voisin est autorisé à traiter des données personnelles pour autant que cela soit nécessaire pour déposer une plainte ou une dénonciation pénale et qu’il puisse accéder légalement à ces données. Il peut également utiliser ces données pour faire valoir des conclusions civiles par voie d’adhésion ou pour les faire valoir au terme de la procédure pénale.
  2. Il est tenu de déclarer publiquement le but, le type de données traitées et l’étendue de leur traitement.
  3. Il n’est pas autorisé à combiner les données personnelles visées à l’al. 1 avec des données qui ont été collectées dans d’autres buts.

Sa genèse (cf. FF 2018 559) découle directement du constat que les moyens qui existaient jusqu’alors pour lutter contre le piratage étaient insuffisants. L’autorégulation (notamment via le code de conduite de Swico pour l’hébergement) n’était pas efficace, en particulier lorsque des hébergeurs de contenus ont pour modèle économique la violation du droit d’auteur.

Ainsi, en plus d’une procédure de “notice and takedown” (information des titulaires des droits à l’hébergeur pour retirer un contenu illicite), les hébergeurs qui génèrent un risque particulier pour le droit d’auteur doivent désormais faire en sorte que ces contenus ne réapparaissent pas sur leur plateforme (“stay down” ; art. 39d LDA). Sont considérés comme de tels hébergeurs ceux d’entre eux qui favorisent les violations du droit d’auteur en raison de leur fonctionnement technique ou de leurs objectifs économiques. Cette mesure doit être mise en œuvre en fonction de ce qui est techniquement et économiquement raisonnable. Elle est déjà mise en œuvre par de grands hébergeurs internationaux, à l’instar de YouTube.

En revanche, cette mesure est totalement inefficace lorsque les contenus illicites sont partagés au moyen d’outils ayant une structure décentralisée, comme les échanges P2P (peer-to-peer). Afin de lutter contre la distribution illicite d’œuvres sur ces réseaux P2P, les titulaires des droits doivent lancer des procédures pénales. Jusqu’en 2010, ils collectaient les adresses IP des périphériques qui participaient à ces échanges et les transmettaient aux autorités de poursuite pénale. Mais le Tribunal fédéral avait mis fin à cette pratique au motif que l’adresse IP est une donnée personnelle, que les titulaires de droits traitaient ces données de manière non reconnaissable pour les utilisateurs des réseaux P2P, violaient le principe de finalité, et que l’atteinte à la personnalité ne trouvait pas de justification, y compris par un intérêt privé ou public prépondérant.

Ainsi, l’art. 77i LDA vient remédier à cette situation insatisfaisante pour les titulaires de droit. Désormais, ils sont autorisés à traiter des données personnelles aux fins de poursuites pénales afin de poursuivre les auteurs d’infractions, que celles-ci aient lieu sur les réseaux P2P ou autrement. Comme le Code de procédure pénale (CPP) permet à la victime de faire valoir des prétentions civiles lors du procès pénal (art. 122 et suivants CPP) ou après son terme, le traitement de ces données personnelles pourra également servir à faire reconnaitre ces prétentions civiles.

Il faut préciser que cette nouvelle disposition n’a pas d’autre incidence sur la procédure pénale et les principes qui y sont applicables, en particulier ceux de l’opportunité de la poursuite et de l’administration des preuves. Elle ne peut pas non plus servir de justification pour identifier un utilisateur (la LSCPT restant applicable).

En matière de protection des données, l’art. 77i LDA interdit donc au titulaire des droits d’utiliser les données personnelles recueillies dans un but autre que celui du dépôt d’une plainte ou d’une dénonciation pénale (principe de finalité). Le titulaire des droits ne peut pas traiter plus de données que ce dont il a besoin pour atteindre ce but (principe de proportionnalité). Il ne peut collecter des données personnelles auxquelles il ne peut pas accéder de manière légale, c’est-à-dire qu’il ne peut pas les collecter s’il doit pour cela commettre une infraction pénale (principe de légalité).

Les titulaires des droits doivent être transparents : le traitement des données doit être reconnaissable et les personnes concernées doivent pouvoir s’y attendre, ou ils doivent informer les personnes concernées s’ils ont un contact avec elles. Un simple renvoi aux dispositions de la LPD n’est pas suffisant. (cf. 19e rapport du PFPDT, 2011/2012, p. 48)

A noter que la révision de la LDA a eu pour conséquence de mettre fin à la présence de la Suisse sur la “watch list” américaine des pays qui ne disposent pas d’un cadre suffisant de protection des intérêts américains en matière de droit d’auteur. La Suisse était apparue sur cette liste en 2016.

In recognition of Switzerland’s recently enacted legislation that came into force on April 1, 2020, and is intended to address specific difficulties in its system of online copyright protection and enforcement discussed in recent Special 301 Reports, Switzerland is removed from the Watch List. This is an important step after many years of engagement, and the United States will carefully monitor the implementation, interpretation, and effectiveness of the newly enacted legislation, including any difficulties right holders may have in enforcing their rights against anonymous infringers, as well as the continued existence of a system that permits individuals to reproduce and, in some cases re-disseminate, copies of works (including copies made from illegal sources) without any opportunity for remuneration to the right holder. The United States will continue to engage with the Swiss government on these and other IP issues.

2020 Special 301 Report, p. 31.